¿ TAVUSSA ? (88) : Arrêtez la musique !

temps de lecture : 3 minutes seulement !

L’autre matin, sur Radio Classique, j’ai entendu Fabrice Luchini interviewé par Guillaume Durand, deux hommes intéressants et agréables à écouter. Luchini venait parler d’un auteur autrichien.  Je n’ai pas noté son nom1. Ce que j’en ai retenu, c’est qu’il semblait avoir beaucoup de points communs avec Philippe Murray, l’imprécateur  favori de Luchini, dont la même fureur contre la société contemporaine, l’humour en moins peut-être.

L’objet de la diatribe de cet autrichien telle qu’elle était rapportée par Luchini, c’était la musique, la musique partout, la musique tout le temps, la musique inévitable, la musique en tube, la musique abrutissante, la musique lénifiante, la musique horripilante, la musique d’ascenseur, la musique de supermarché, la musique de restaurant, la musique de fond, la musique d’attente… Entendez-moi bien, je ne parle pas ici d’un autre type de musique, seulement gênante, celle-là, la musique des autres, par exemple celle qui sort de la camionnette de livraison qui est arrêtée au feu rouge ou celle que votre voisin de plage ou de palier vous dispense gratuitement, musique dévastatrice pour l’humeur et le cerveau mais heureusement moins fréquente. Je parle bien de la musique exaspérante et haïssable qui fait le fond sonore d’une bonne partie du film de notre vie.

J’ai longtemps essayé de lutter contre ce qu’on appelle aussi la musique d’ambiance. Peu de satisfaction, quelques succès, quelques engueulades aussi. Ça me rappelle une réflexion que m’avait faite le maître d’hôtel d’un restaurant. C’était l’époque où, pour des déjeuners d’affaires, je fréquentais beaucoup les restaurants, de préférence chers et cotés. Pour célébrer la clôture d’une affaire du côté de Marne la Vallée, j’avais choisi de tenter le coup et d’inviter tout le monde dans le plus grand restaurant du plus grand hôtel du plus grand parc d’attraction de France et d’Europe, Disneyland. Se retrouver dans un parc d’attraction pour enfants quand on porte costume, cravate et attaché-case et qu’on s’attend à être traité d’importance dans un restaurant gastronomique avait provoqué un mouvement de surprise chez mes invités. Se moquait-on d’eux ? Ils furent rapidement rassurés par l’abondance du personnel et surtout, quand ils purent consulter la carte, par le niveau des prix : visiblement, on ne se fichait pas de leur tête. Nous commençâmes à plaisanter et tout le monde trouva excellente l’idée de venir déjeuner chez Mickey. J’étais aux anges.  Mais au bout de quelques instants, je m’aperçus que notre aimable conversation était perturbée par un fond musical permanent — Un jour mon prince viendra, Qui craint le grand méchant loup — entrecoupé de morceaux bien sirupeux avec clochettes et choeurs pré-nubiles. Discrètement,  j’appelai le maître d’hôtel  et lui demandai de bien vouloir couper ou tout au moins baisser le son des haut-parleurs de la salle à manger. Très obséquieusement, il se pencha vers moi et me dit à l’oreille : « Monsieur, je regrette mais c’est impossible ; cela reviendrait à supprimer la musique dans tout le parc Disneyland. Vous vous rendez compte ? » 

Je me rendais compte : le grand silence s’installerait, les mères s’inquiéteraient, les enfants commenceraient à pleurer, les visiteurs se demanderaient ce qui se passe… « Quelqu’un est mort ? Le Président ? Johnny Halliday ?  Est-ce une alerte météo, ou alors attentat, ou même atomique ? Faut-il commencer à évacuer le parc, à paniquer ? Est-ce la fin des haricots ?… »

Je n’insistai pas ; j’avais compris : si la musique s’arrête, le monde aussi. 

Alors, envoyez la musique ! 

(1) Finalement, j’ai retrouvé le nom : Thomas Bernhard, écrivain autrichien,  1931-1989, mais ça vous avance à quoi ? 

3 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (88) : Arrêtez la musique ! »

  1. Avez-vous remarqué que dans les nouvelles séries télévisuelles , la grande mode est d’intensifier la musique , non pas entre les dialogues , mais pendant les dialogues importants , ce qui les rend inintelligibles ,particulièrement pour les vieux plus ou moins sourds. Alors complot anti vieux , bêtise ? Mon hypothèse est plutôt que les générations montantes fuient le dialogue considéré comme une agression et préservent leur isolement mental. Toutes les fêtes sont prétexte à des exhibitions narcissiques , dans des ambiances sonores tonitruantes interdisant tout échange.
    Dans cette solitude propice à la pensée ,donc aussi aux angoisses , le tranquillisant c’est par la musique oblitérante , et les ecrans divers. Pour moi c’était plutôt la conversation , pour « frotter mon esprit contre celui d’un autre » « live « , ou en différé par la lecture. O tempora…

  2. Haro! sur toutes les musiques d’ambiance qui s’imposent sans consentement et en particulier les musiques d’ascenseur sauf dans les films dans lesquels elles jouent un rôle de composition. Ma préféré bien sûr, celle de Miles Davis pour Ascenseur pour l’Echafaud. Ha ha!
    PS: Elles disparaissent Dieu merci remplacée par les oreillettes fourrées dans les oreilles des moutons de panurge. Pas réjouissant non plus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *