Un couple inachevé (10)

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Olivier ne s’attaquait qu’à la surface de l’entreprise : le remplacement du mobilier du bureau directorial, la suppression de la voiture de fonction du patron, le nouveau design du catalogue, l’instauration d’une réunion hebdomadaire de coordination avec la Compta et les chefs d’atelier et d’une réunion mensuelle avec tout le personnel, etc… tout cela sortait directement de la panoplie n°1 niveau débutant pour manager-cost-killer-mais-quand-même-proche-de-la-base. Tout ça n’était pas très dangereux. Mais voilà maintenant qu’il voulait se plonger dans les achats…
Et ça, c’était autre chose…

10 – A fond la caisse

Parce que ça fait six ans qu’elle escroque Etienne Combes & Fils, la petite Aurélie, depuis un peu plus d’un an après qu’elle soit devenue chef comptable. Elle avait commencé à y réfléchir depuis son poste d’aide comptable. L’idée de détourner un peu d’argent de la société lui était venue quand elle avait constaté l’immense respect et la frayeur, inexplicables pour elle, que la comptabilité inspirait à son patron. Bernard Combes disait d’ailleurs fièrement à qui voulait l’entendre qu’à la comptabilité, il ne comprenait rien, et qu’il laissait ces travaux fastidieux et subalternes aux spécialistes, pour pouvoir, lui, se consacrer entièrement aux tâches nobles de la production et des relations commerciales.

Au contraire de son patron, Aurélie avait un don pour cette technique toute faite de rigueur, d’astuce et d’équilibre. Elle en avait saisi très rapidement la plupart des finesses et, par conséquent, les possibilités de les utiliser à son avantage personnel. Pendant la première année qui avait suivi son diplôme, elle avait envisagé et parfois testé discrètement plusieurs méthodes qu’elle put mettre en application dès sa prise de fonction de chef-comptable.

Elle commença par gonfler à leur insu les notes de frais des collaborateurs de l’entreprise. Ce fût facile. En effet, traditionnellement, celles-ci étaient réglées en liquide. Alors, pour une note de frais sincère et véritable de 200 € par exemple, à l’aide de la photocopieuse, Aurélie fabriquait un justificatif supplémentaire de 32,50 €, montant ainsi la note à un total de 232,50€. Il ne lui restait plus qu’à régler 200 € à l’intéressé et 32,50€ à elle-même. Mais les notes de frais que Combes & Fils remboursait à ses employés demeuraient peu nombreuses et de faibles montants. Leur falsification ne rapportait à Aurélie que de modestes sommes, certes régulières, mais qui étaient loin de répondre à ses besoins. Il lui fallut absolument trouver des ressources supplémentaires.

Elle gagnait un peu d’argent en lavant les chèques de clients de faible importance et en les encaissant sur un compte qu’elle avait ouvert en Belgique. Bien sûr, dans les livres, les factures correspondantes apparaissaient en impayés. Mais tant qu’ils demeuraient de faible importance, Bernard Combes ne s’en préoccupait pas. Il en confiait les relances à Aurélie, qui prétendait donner des coups de fils qu’elle ne passait pas et adresser des courriers qu’elle ne postait pas. Chaque année, le montant de ces factures impayées venait se dissoudre dans le compte des Pertes et Profits.

Elle envisagea aussi la souscription de contrats d’assurance fictifs, contre les bris de machines, les tempêtes-ouragans-cyclones, les pertes d’exploitation, la disparition soudaine de l’homme sur qui reposait l’entreprise, etc…. Cela impliquait la rédaction des chèques en paiement des primes annuelles à l’ordre d’un cabinet de courtage qui n’existait que par le compte en banque qu’elle avait ouvert à son nom à Bruxelles. Elle passa à la pratique avec la création de deux faux contrats : une assurance « Bris de machine » sur le vieux four à fuel, et une garantie « Homme clé » sur la tête de Bernard Combes. Le contrat sur le four lui permit de percevoir une somme de près de 1000€ à chaque échéance de prime. Mais la quantité de faux documents que cette méthode imposait était décourageante. De plus, le risque d’être découverte devenait énorme en cas de sinistre. Elle fût presque soulagée quand le vieux four vint à être remplacé et qu’elle put mettre fin à ce faux contrat par une fausse lettre de résiliation. Le contrat Homme clé qu’elle avait maintenu et qui lui assurait une rente d’environ 3500 € par an lui procura une grande frayeur quand Bernard Combes vint à mourir dans ce stupide accident. En théorie, l’entreprise était en droit de réclamer à l’assureur le versement immédiat de l’indemnité forfaitaire fixée au contrat. Or, le contrat et l’assureur n’existaient que dans les dossiers que tenait Aurélie. Le risque était grand que le pot aux roses ne soit découvert, mais Jean-François Combes qui ignorait l’existence de cette assurance ne s’intéressa pas à la question. Aurélie perdait la ressource correspondante, mais elle était sauvée. Avec le nouveau patron, il y avait même des chances pour que ses malversations deviennent encore plus aisées qu’avec l’ancien.

A SUIVRE

 

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