Mais parlons d’autre chose 

Il y a quelques jours, dans un texte intitulé « C’était un jour qu’était pas fait comme les autres », a été abordée la question du Paradis. Si Madame de Sévigné avait eu la chance de le lire, elle n’aurait pas eu à se poser toutes ces questions : 

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie : je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que, si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? par où ? par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? Souffrirai-je mille et

mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai -je d’un accident ? comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité ferontelles mon retour vers lui ? n’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre : je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines dont elle est semée. Vous me direz que je veux donc vivre éternellement ; point du tout : mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice ; cela m’aurait ôté bien des ennuis, et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément : mais parlons d’autre chose.

Lettre de Madame de Sévigné à Madame de Grignan (16 mars 1672)

Une réflexion sur « Mais parlons d’autre chose  »

  1. Ah, l’éternelle question du consentement originel à la vie! Je citerai Sartre en complément: « Faute de renseignements plus précis, personne, à commencer par moi, ne savait ce que j’étais venu foutre sur terre ».

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