Reine d’un soir (4/5)

— Vous voyez bien, Mesdames et Messieurs ! Nous sommes dans une situation cornélienne !

Le public a regardé les chauffeurs de salle et n’en a tiré aucun enseignement. Alors, il est resté coi, le public, au bord de la crise de nerfs. C’est à ce moment qu’un petit bonhomme tout rond est sorti des coulisses et s’est dirigé vers le centre de la scène à petits pas bondissants.

4/5

— Ah ! Mais je vois arriver parmi nous quelqu’un qui va peut-être nous sortir d’embarras ! Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter la cheville ouvrière, l’âme de cette émission, celui sans qui jamais je n’aurais pu monter Reine d’un soir, celui qui travaille dans l’ombre chaque jour pour rechercher les candidates, les sélectionner avant de les soumettre à votre jugement, le concepteur génial du Méritomètre, mon ami de toujours, mon ami Bob, Bobby comme j’aime l’appeler… Mesdames et Messieurs… Robert Bojo ! On l’applaudit très fort !

À ce moment, pour moi, c’était devenu évident. Tout ça avait été prévu, calculé, organisé à l’avance, l’égalité des thermomètres, les hésitations de Dorsett, l’arrivée de Bojo, et la solution miracle qu’on n’allait pas tarder à nous faire connaître. Pendant que je réfléchissais, les chauffeurs agitaient frénétiquement toutes leurs pancartes en même temps pour entretenir le tonnerre que Dorsett avait demandé. Bojo a salué modestement et, quand le calme est revenu, il s’est mis à chuchoter à l’oreille de Dorsett. Le public a eu beau tendre ses innombrables oreilles, il n’a rien entendu. Au bout d’une trentaine de longues secondes, Bojo a tourné le dos au public et, de son petit pas bondissant, il a rejoint les coulisses.

— Aaaah ! Mesdames et Messieurs, veuillez excuser mon ami Bob. Il est bien trop modeste, je dirai même bien trop timide — n’est-ce pas Bobby que tu es timide ? Ah ! Ah ! — pour présenter lui-même l’idée qu’il vient d’avoir pour sauver cette soirée. Et cette idée, géniale il faut bien le dire, la voici :

— Aaaah ! a soupiré le public, soulagé.

Et, tandis que des machinistes envahissaient la scène pour y installer des pupitres, des micros et des tableaux lumineux, Dorsett s’est mis à expliquer ce qui allait se passer. C’était à la fois simple et génial : on allait opposer Carmen et Veolia dans un débat !

— Un peu comme pour une campagne électorale, a précisé Dorsett. Elles vont devoir nous expliquer pourquoi il faut voter pour elles ! Le débat durera deux fois vingt minutes, avec une pause de dix minutes à la mi-temps. Le jury et les Méritomètres n’ayant pas été fichus — Ah ! Ah ! — de départager les candidates, cette fois-ci, la gagnante sera désignée par le public, à l’applaudimètre.  C’est super, non ?

Le public trépignait de joie : enfin, on lui donnait un vrai rôle ! Il se mit à scander :

— Su – Per, Su – Per, Su – Per !

Effectivement, ça a été super… Tout au moins au début… Parce qu’après…

D’abord, Carmen a été tirée au sort pour parler la première. Elle a commencé par pleurer quatre minutes d’affilée dans son micro. Au début, bien sûr, ça a ému le public mais, à la longue, ça a fini par l’agacer. Alors, elle a retrouvé ses esprits et, après avoir rappelé entre deux sanglots les étapes principales de son parcours misérable, elle a déclaré, la main sur le cœur, qu’elle pardonnait au directeur de l’orphelinat de Bergen-Op-Zoom, au frère supérieur du monastère des Kerguelen, au procureur du tribunal de Clocaenog-Brynsaithmanchog, à EDF et à la SPA pour ce qu’ils lui avaient fait. Quant à Fauntleroy, elle n’avait rien à lui pardonner, au contraire, elle était toujours amoureuse de lui. Maintenant qu’elle avait vu le monde, elle le suppliait de lui accorder son pardon et elle était prête à l’épouser.

Soudain, dans la salle, quelqu’un s’est levé, en larmes. Il a crié « Ah ! Carmencita ! Moi aussi, je t’aime ! Rentre avec moi à la maison ! » C’était Lord Fauntleroy lui-même qui, contre toute convenance, laissait parler son cœur.  Les assistants l’ont maitrisé alors qu’il tentait de monter sur scène, certainement dans l’intention d’enlever sa fiancée une nouvelle fois.

Le public était en délire. Il n’en pouvait plus de compassion, de sympathie et pour tout dire, d’amour envers cette pauvre Carmen, si généreuse avec ceux qui lui avaient fait tant de mal. Dorsett était aux anges. L’idée de Bojo marchait du feu de Dieu.

Quand, après un long moment, le calme est revenu dans le public, Carmen a voulu pousser son avantage en rappelant la marque au fer rouge qu’on lui avait infligée après qu’elle ait refusé de se marier. C’était sans doute la chose à ne pas faire, parce que c’est à ce moment qu’on a entendu une voix sarcastique s’élever au-dessus de celle de Carmen :

— Je me marre, disait cette voix. Alors là, je me marre !

C’était Veolia qui ricanait dans son micro. Il n’était pas possible d’ignorer cette interférence, et Dorsett crut devoir intervenir.

— Ça sera bientôt votre tour, Veolia, dit-il. Pour le moment, soyez gentille et laissez parler Carmen, voulez-vous.

— OK, d’accord, d’accord, Duchenoque, acquiesça Veolia. Elle perd rien pour attendre, la Carmen ! N’empêche que je me marre…

À la regarder grimacer derrière son micro, je sentis que les choses allaient déraper ; et ça n’a pas manqué. Le ton goguenard de Veolia avait dû agacer Dorsett car, en voulant la remettre à sa place, il commit la grossière erreur d’engager le dialogue :

— Et peut-on vous demander ce que vous trouvez de risible dans cette marque infamante que de cruels barbares ont imprimée à jamais sur l’épaule de cette pauvre femme ?

— À jamais ? Mais j’hallucine ! Vous avez pas vu ? Elle est bidon, la marque ! On en fait tout un foin, là, mais elle est bidon !

Bien que tout le public ait parfaitement compris le mot bidon, Dorsett s’enfonça un peu plus en demandant :

— Voulez-vous dire que cette marque, celle que tout le monde a vue sur grand écran tout à l’heure, que cette marque n’est pas véritable ?

— Évidemment qu’elle est pas véritable, pauvre pomme ! Puisque je vous dis qu’elle est bidonnée ! C’est juste un tatouage !

— Hein ?  dit le public

la suite et la fin, demain 

 

Une réflexion sur « Reine d’un soir (4/5) »

  1. Mais où vas-tu chercher tout ça ? Champ de Faye ou Champ de paille (hallucinogène, la paille) ?

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