Chronique des retours amoindris

Morceau choisi

Les parisiens reviennent de vacances. Suivi de leurs chiens et de leurs enfants. Les vieillards poussent l’automobile. Les époux portent le transistor. Il étonna la vache au sommet du Mont-Blanc et la sardine au fond de la baie des Trépassés ; il fit danser sur un air de cha-cha-cha la vague noire de la pointe du Raz. De longues files se sont formées aux portes de la capitale. Grandes migrations, poussières, sueurs, matelas pliants. Chacun, en ville, attends sur le pas de la porte un être cher avec des boissons réconfortantes. Mais comment reconnaître son monde ? Les vacances ont tout transformé. La tante Josiane, qui était une magnifique personne, une blonde abondante et laiteuse, une vraie réclame pour les vins et fromages, est revenue comme un hareng saur. Il a fallu bronzer, il a fallu maigrir. Les magazines ne plaisantent pas sur ce chapitre. Elle était ronde, dorée, juteuse comme une orange ; elle avait l’air d’un bouquet de lys ceinturant une touffe de pivoines et couronnée d’une gerbe de blés murs ; on aurait dit, en bref, un plat de fraises à la crème ; on s’en passait la langue sur la bouche. C’était la Chanson des Blés d’Or. Elle est revenue ratatinée, noire et poreuse, un peu friable, comme un petit morceau de charbon de bois. On quitta la Madelon, on retrouve un squelette. On laissa un Rubens, on découvre un Buffet. Elle qui pourtant avait fait tout son devoir. Le bronzage et la diététique. Suivi les conseils les plus sûrs. Voilà comment elle est revenue ! Et voilà comme quoi tous ces gens qui était parti pour se trouver, ou tout au moins pour se chercher, pour essayer de devenir ce qu’ils furent, ou ce qu’ils sont, ou ce qu’il voudrait être, pour se rapprocher enfin de l’homme, se sont perdus en route comme le beurre au soleil. Ce qui n’étonne pas de la part de mammifères pensants qui remplacent leurs jambes par des roues et leur cerveau par le transistor.

Alexandre Vialatte – Chronique des retours amoindris (extrait)

Bientôt publié
29 Août, 07:47 Sacrée soirée ! (5)
30 Août, 07:47 Esprit d’escalier n°21

2 réflexions sur « Chronique des retours amoindris »

  1. Jean Yanne hier, le Céline auvergnat aujourd’hui, nostalgie, nostalgie: c’était comme ça avant le PC( politiquement correct),
    avant l’offensé perpetuel,avant les tweets primaires de moralisateurs degenrés….

  2. … et par le portable. Vialatte n’a pas connu ses ravages sur les réseaux dits sociaux, dommage!

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