Retour de Campagne (12) – La dame de Chez Lipp – Suite &Fin par Jim

Retour de Campagne (12)
10 novembre 20

Le jeu « Suite & Fin » récemment proposé ici-même consistait à produire un texte en continuation d’un texte proposé par le JdC et dont le titre était « La dame de Chez Lipp »
Voici la contribution de Jim. Le texte de départ est imprimé en bleu et le texte de Jim en noir, tout simplement.

La dame de Chez LIPP

Chez Lipp, dans l’angle Nord-Est de la première salle, juste sous le petit panneau cartonné suspendu à une patère qui « pour la tranquillité de la clientèle, demande aux utilisateurs de téléphones portables de renoncer à s’en servir à table », il y a une femme qui n’y a pas renoncé.

Elle est entrée, seule, brune et pâle, l’oreille collée au petit écran.  Au maitre d’hôtel qui l’a reçue comme une habituée, elle n’a pas adressé un regard. Par un imperceptible mouvement de la tête, elle a refusé les services de la demoiselle du vestiaire et, sans interrompre sa conversation, dans un mouvement compliqué accompli avec la dextérité que seule donne une grande habitude, elle s’est débarrassée de son imperméable. Elle l’a posé sur la banquette, noir, noir comme son sac, comme son tailleur, comme ses chaussures et s’est assise à côté tout en continuant à parler.

On ne l’a pas vue passer commande, mais, quand le garçon lui apporté tout d’abord une corbeille de pain, puis une bouteille d’eau minérale, puis son plat sans doute habituel, elle l’a accueilli d’un sourcil levé réprobateur sans interrompre sa conversation.

Elle n’a pas l’air content, la dame en noir. Les yeux dans le vague, parfois au ciel, elle alterne de brèves périodes d’écoute et de longs soliloques tout en pignochant comme à regret dans son assiette. À intervalles irréguliers, il semble que la communication s’interrompe. Alors, la dame éloigne son téléphone de son oreille, le considère d’un œil incrédule et, le visage devenu plus pâle encore sous la lueur blafarde de l’écran, elle compose un numéro d’un index furieux.

Le téléphone collé à son oreille, elle attend quelques secondes, exaspérée, puis raccroche. Ce comportement étrange n’échappe pas à l’observation discrète du journalise écrivain Philéas Coutheillac qui s’intéresse à elle depuis longtemps, La Dame en Noir ainsi qu’il la surnomme à part lui et qui est aussi le titre d’un livre en gestation, un roman ou un récit, il n’a pas encore décidé. Enfin calmée, elle se lève et vient, avec une certaine grâce qui tranche avec la séquence précédente, à la table de Philéas Coutheillac, s’assied en face de lui et dit posément, sans familiarité car elle sait qu’on est pas à tu et à toi avec ce célèbre journaliste influent :

— Monsieur Coutheillac, votre filature depuis des semaines ne m’a pas échappé. Vous préparez sans doute un article sur moi à paraître prochainement dans votre journal.

— On ne peut rien vous cacher Madame Dati. Ce sera plutôt un livre.

— Alors, pour vous dédommager de vos longues heures de traque – vous devez en avoir marre de la choucroute-bière – je vais vous confier un scoop. Vous serez le premier à en faire profiter vos lecteurs. Madame Hidalgo vient de mourir à la Mairie de Paris à la suite d’une crise de démence plus violente que les précédentes. Son médecin, un proche, le Docteur Lorenzo, a accouru auprès d’elle mais il n’a rien pu faire cette fois. Voilà ! À charge de revanche Monsieur Coutheillac. Une élection en cache toujours une autre !

Bientôt publié

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2 réflexions sur « Retour de Campagne (12) – La dame de Chez Lipp – Suite &Fin par Jim »

  1. La lecture de votre lettre ce matin m’a beaucoup touché Docteur Lorenzo. Je vous prie de croire, vous et votre demi-sœur également admirable, à l’expression de ma sympathie sincère. Je fais le pari que la mort de votre sœur Madame La Maire cause une peine capitale qui ne laissera pas un grand vide mais un trop plein civilisationnel que les Parisiens et Parisiennes ne sont pas près d’oublier. En ce jour du 11 novembre, je pense à ces vers célèbres du poète « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ». Oui, Paris libéré! Notre grand quotidien parisien le JDC, sous la plume de son célèbre rédacteur en chef Philéas Coutheillac, œuvre déjà pour l’ouverture d’une pétition réclamant qu’une piste cyclable porte son nom sur le périphérique entre la Porte de Saint-Ouen et la Porte de Clignancourt. Un dernier mot Docteur Lorenzo. J’étais attablé au fond de la salle chez Lipp lorsque Madame La Maire nous a livré l’un des spectacles sur table dont elle avait coutume pour s’attirer les bonnes grâces des germanopratains, un spectacle des plus comiques et j’ai honte d’avouer que j’en ai bien rigolé.

  2. Bravo, Jim, de nous avoir démasqués, Lariégeoise et moi. Tu ne peux pas savoir à quel point ça nous soulage car nous n’en pouvions plus de jouer ce double rôle. Tu as fait très fort. Nous reconnaissons avoir été missionnés par les proches de l’Impératrice pour infiltrer le blog de cette ordure de Coutheillac dont les propos malfaisants ont indisposé notre bien aimée Déesse de Paris. Moi, Lorenzo, docteur en médecine, je reconnais être le frère de madame Hidalgo et ma collègue Lariégeoise reconnait être sa demi-sœur née du même père mais d’une mère installée de l’autre côté de la frontière comme cela a déjà été raconté dans ces pages par un célèbre chroniqueur. Notre mission était d’infiltrer ce noyau dur d’opposition qui faisait un mal fou à notre Impératrice comme l’ont montré les dernières élections. Si elle n’avait pas bénéficié d’autant de malversations utilisant les subsides municipaux pour acheter les électeurs vénaux et indécis, l’Impératrice n’aurait pas pu être réélue, ça c’est sûr. Donc, pour tenter de me racheter à vos yeux, chers lecteurs et, je l’espère, amis du blog, je vais vous faire cette révélation que le secret professionnel aurait du m’empêcher de vous livrer : Madame l’Impératrice des Parisiens n’est pas morte d’une nième crise de démence comme on aurait pu le soupçonner avec raison. Non, elle a été empoisonnée et on a retrouvé sur sa table les restes de son déjeuner : c’était du veau de l’Aisne et les enquêteurs sont remontés assez vite jusqu’au producteur du plat infecté à l’arsenic. Il s’agirait d’un certain Philippe de La Motte de Coutheilles, Baron des Ponts et Marquis des Chaussées, confiné, mais en réalité exilé, pour crime de lèse-majesté-Hidalgo depuis huit ans à Champ de Faye dans une province illettrée où les pouvoirs publics espéraient qu’il se tiendrait tranquille. Je me permettrai de vous tenir au courant des suites de l’enquête.
    Avec toute mon affection et mes regrets de vous avoir si longtemps abusés. (Lariègeoise, actuellement en séjour prolongé en Argentine, se joint à moi pour vous réitérer notre sincère affection).
    Lorenzo.

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