Journal de Campagne (47)

Journal de Campagne (47)
Vendredi 1er mai 2020 – 16h47

Vous avez pu lire ce matin la dernière partie de ma rencontre avec Roger A. de la ferme de Montapeine. Vous vous demandez certainement si ce récit est absolument véridique et si toute ressemblance avec des êtres humains ou des animaux vivants ou ayant existé est le produit de ma mémoire. Eh bien, oui ! Tout est vrai ! Bien entendu, j’ai changé les noms des personnes, des veaux et des lieux. Par exemple, le village de Roccourt-le-Petit n’existe pas, et si le hameau de Montapeine existe, c’est ailleurs, à une vingtaine de kilomètres du lieu de cette rencontre historique. Mais, ce matin-là, il y avait bien six veaux dans ce pré et trois rangs de barbelés autour et le soleil par-dessus.

Hier, les couvreurs qui travaillaient sur notre toit depuis bientôt deux semaines ont fini leur travail. Pendant tout le temps qu’ils sont restés, ils ont été joyeux, aimables et discrets. Le dernier jour, ils ont démonté leurs échafaudages, replié leurs échelles, débranché leur popote. Ensuite, ils ont débarrassé le jardin et la terrasse de tous les débris de ciment, de briques, de tuiles, et des copeaux de zinc et de bois. Ils les ont placés dans de grands sacs blancs qu’ils ont chargés dans leur fourgon. Ils sont venus nous dire au revoir, le couvreur en chef, un grand gaillard qui me faisait penser à William Hurt (pas John Hurt, William), et l’apprenti, un petit et jeune portugais souriant. L’une des dernières tâches qu’ils avaient accomplie avant le repliement général était le sciage de tuiles plates. C’était l’apprenti qui, à genoux sur le toit, maniait la disqueuse — j’avais d’ailleurs remarqué dans les jours précédents que c’était souvent l’apprenti qui maniait la disqueuse ; normal, m’étais-je dis, sinon à quoi ça servirait la hiérarchie ?  Vous imaginez sans peine que quand vous sciez à la disqueuse, ça dégage des quantités invraisemblables de poussière que vous prenez dans la figure, les yeux, la bouche, le nez, les cheveux, les poumons, bref : partout. Quand vous sciez du ciment, les poussières sont grises, et quand ce sont des tuiles, elles sont rouges — on ne dit pas rouge-tuile mais rouge-brique, mais c’est la même chose. Alors, quand les deux bonshommes sont venus nous dire au revoir, le petit portugais avait le teint que les maquilleurs d’Hollywood donnaient aux acteurs basanés chargés d’incarner ce qu’on appelait autrefois des Peaux-Rouges, justement et qu’on ne saurait aujourd’hui appeler autrement qu’Amérindiens. Nous lui avons fait compliment de son maquillage Technicolor et demandé l’autorisation de le photographier. Ce qui fut fait :

Nous nous sommes séparés dans les meilleurs termes. Tout ça, ça occupe une journée, pas vrai ?

4 réflexions sur « Journal de Campagne (47) »

  1. Je pense a la couleur de poumons du jeune portugais, …un sédiment en couches comme le lasagne..Par ailleurs ils ont un beau sourire, peut être par ce que il y a eu un petit sourire de remerciement gentil de la patronne…

  2. Edgar me vole ma réplique: et le masque ?
    Il est vrai que nous en manquons et que protéger un compagnon d une poussière rouge autrement moins mortelle que le covid, ne paraît pas indispensable : j espère néanmoins que ton voisin bas de plafond n aura pas eu l idée saugrenue d alerter la section locale de la CGT : le moustachu est très en pointe sur la sécurité des travailleurs : il est vrai que son but est d empêcher la reprise du travail…
    Quand même ça a un petit relent de paternalisme cette photo : l apprenti , peau rouge promis à la silicose posant souriant à côté de son chef…..
    Après la description de la demeure de Mr Minette, et de tes aventures veau de vilesques, nous étions dans la comédie rurale, voilà que nous plongeons dans l , univers du petit patron écrasé par les charges, qui ne peut assurer une protection à ses salariés….
    Et ce toit tout neuf on pourra le voir au moins?

  3. Ni de lunettes ?
    Je suppose que ce qui effraie Edgard est l’absence de masque de chantier, pas de FFP2.
    En tout cas, les distances sont respectées.

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