Journal de Campagne (46)

Journal de Campagne (46)
Jeudi 30 avril 2020 – 16h47

Aujourd’hui c’est le onzième anniversaire de mon départ en retraite. Quand on évoque ce genre de date, l’usage est de dire un lieu commun du genre : « Onze ans ? Déjà ! Mon Dieu, comme le temps passe ! » Mais, en ce qui me concerne, ce serait plutôt l’inverse et je me dis : « Onze ans ? Seulement ! Saperlipopette, mais j’ai l’impression que ça en fait vingt ! »

A partir du 1er mai 2009, il y aura donc onze ans demain, j’ai vécu comme si je n’avais pas travaillé trente-trois années dans la même entreprise. C’est curieux, mais à part quelques associés, quelques collaborateurs et quelques clients, au total peut-être une dizaine de personnes, j’ai immédiatement oublié les centaines d’autres avec qui j’avais pu être en rapport. Aucun ancien dossier, qu’il ait été intéressant ou pénible, n’est venu troubler ma mémoire, aucun besoin ni aucune envie de reprendre du collier à aucun moment ni sous quelque forme que ce soit ne m’a jamais agité. À lire ces mots, on pourrait croire que ce métier m’a été pénible, que j’ai été malheureux, que j’ai eu du mal à l’exercer. Bien sûr que, par moment, comme tout le monde sans doute, j’ai rencontré des problèmes, connu des difficultés, éprouvé des doutes, mais d’une manière générale, j’ai trouvé ces années plutôt intéressantes et même souvent amusantes. Bien sûr que, comme tout le monde, j’ai rencontré des imbéciles, des malhonnêtes et des méchants, mais tous comptes faits, ils furent peu nombreux.

N’empêche que du jour au lendemain, disons du 30 avril au 2 mai 2009, je suis passé à autre chose. Ce n’était pas volontaire, ça s’est fait comme ça.

Cet oubli, cette indifférence, ce n’est ni un genre que je me donne ni une pose que je prends. C’est naturel et sincère. La preuve ? Depuis bientôt dix ans que j’écris comme un dératé, parmi les centaines de textes (certainement plus de cinq cents) que j’ai publiés dans ce journal, moins d’une demi-douzaine font référence à mon ancien métier. Et encore, de celui-ci, ils n’ont utilisé que quelques détails pour planter un décor ou raconter une anecdote généralement sans rapport avec la profession. Et comme dirait Dupond à Dupont, je dirais même plus : quand, à court d’inspiration, je cherche dans ces trente-trois années d’expertise quelque chose à raconter, je n’en trouve pas. Curieux cette occultation, non ?

Parvenu à ce point de leur lecture, certains se demanderont si cette effacement de la plupart des détails de toute une partie de ma vie ne serait pas un petit peu volontaire, par hasard, non ? N’y aurait-il pas quelques remords, quelques hontes, quelques cadavres dans des placards ?

À ceux-là, je réponds très sincèrement : pas à ma connaissance. Mais ça ne prouve rien, parce que de toute façon, j’ai tout oublié.

 

Une réflexion sur « Journal de Campagne (46) »

  1. Onze ans donc que je prends un an de plus le 30 avril en ignorant cette concordance des temps!
    Tu as entamé avec constance et talent une nouvelle vie consacrée à l écriture.
    Et l élégante façon que tu as de ne rien regretter ni renier de ta vie professionnelle est une belle leçon de sagesse: nous en avons tous les jours la preuve en lisant ce JDC , qui deux fois par jour à présent, nous livre sans prétention, avec humour souvent , beaucoup d érudition le fil d une pensée qui nous touche : celle d un ami qui nous est cher .

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