Flaubert à Constantinople

Entre 1849 et 1852, Flaubert effectue un long périple en Orient. Pendant le voyage, il écrit énormément de lettres, dans lesquelles il raconte tout, vraiment tout. Dans cette lettre datée d’Athènes, il raconte Constantinople. Visionnaire, Gustave ? Pas tant que ça ! En tout cas, il n’avait pas prévu Erdogan ! Ni le reste !

Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (1)
Athènes, au Lazaret (2) du Pirée (3),19 décembre 1850. Jeudi

(…) Dans un autre lupanar (4) nous avons baisé des Grecques et des Arméniennes passables. —La maison était tenue par une ancienne maitresse de notre drogman (5). On était là chez soi. Au mur, il y avait des gravures tendres, et les scènes de la vie d’Héloïse et d’Abélard (6) avec texte explicatif en français et en espagnol. —Ô Orient, où es-tu ? — Il ne sera bientôt plus que dans le soleil. A Constantinople (7), la plupart des hommes sont habillés à l’européenne, on y joue l’opéra, il y a des cabinets de lecture, des modistes, etc. ! Dans cent ans d’ici, le harem (8), envahi graduellement par la fréquentation des dames franques, croulera de soi seul, sous le feuilleton et le vaudeville. Bientôt, le voile, de plus en plus mince, s’en ira de la figure des femmes, et le musulmanisme avec lui s’en ira tout à fait. Le nombre de pèlerins de La Mecque (9) diminue de jour en jour. Les ulémas se grisent comme des Suisses.  On parle de Voltaire (10) ! Tout craque ici, comme chez nous. Qui vivra s’amusera ! (11) (…)

Notes

1— Ecrivain,1822-1869, ami et « conscience critique » de Flaubert. Il est l’inspirateur de « Madame Bovary » à partir d’un fait divers normand.
2—Etablissement d’isolement, de quarantaine
3—Port d’Athènes
4—Bordel
5—Interprète
6—Couple célèbre, passionné et dramatique
7—Istanbul
8—Résidence des concubines d’un personnage important
9—Ville sainte en Arabie saoudite
10—Ecrivain philosophe français
11—C’est agaçant, toutes ces notes, vous ne trouvez pas ?

3 réflexions sur « Flaubert à Constantinople »

  1. Ce dimanche n’était pas si pluvieux que je m’attende à une si longue note, fort bien troussée, ma foi. Jusqu’il y a peu de temps, je ne connaissais des Suisses que ce que tu en rappelles, mais maintenant que par la grâce d’une mère Zambienne j’ai deux petits-enfants Suisses…

  2. « Les ulémas se grisent comme des Suisses »

    Effectivement, Bruno, sans note explicative, cette phrase demeure bien mystérieuse… non pas que quiconque ignore aujourd’hui qu’un ulema est une sorte d’intellectuel de l’islam, mais un Suisse ?
    Qu’est-ce qu’un Suisse, après tout ?
    Le Suisse, n’est-il que la plus petite partie discernable d’un peuple de confédérés helvétiques, n’est-il que ce personnage historiquement neutre qui, s’il n’avait pas d’accent, passerait sans déranger personne entre le mur et le papier peint, n’est-il que l’inventeur du fromage à trous et de cette stupide pendule murale qu’on appelle Coucou, n’est-il que cet obsédé du scrutin qui vote pour décider si on doit ramasser les poubelles le mardi matin ou le jeudi soir, n’est-il que ce banquier blanchisseur bien habillé, n’est-il que ce type en culotte de peau soufflant et crachant dans une sorte de pipe géante sur un piton rocheux, n’est-il que ce soldat d’élite, grassement payé autrefois par les rois de France et aujourd’hui par le Pape, et, quand il est petit, n’est-il que ce minuscule cylindre de fromage frais entouré de papier humide, n’est-il que ce bouffeur de fondue et ce buveur de Fendant ou ce sportif qui, le dimanche et pour sauver sa patrie, tire sur sa progéniture à l’arbalète ?
    Eh bien, oui, le Suisse est tout cela à la fois, il est tous ces clichés en même temps. Mais rien de tout cela n’explique pourquoi il donne le mauvais exemple à l’ulema ordinaire en se grisant comme un Polonais. Et d’abord, pourquoi le Polonais a-t-il cette tendance reconnue à se saouler ? Mais parce qu’il n’est pas Suisse, bien entendu.
    Plus sérieusement, mais pour rire quand même, si tu veux savoir vraiment ce qu’est un Suisse, il faut voir le film (suisse) dont le titre est, étonnamment « Bienvenue en Suisse !« 

  3. Oui, le mystère des notes. Pourquoi n’y en a-t-il pas pour « uléma » ? Quelle phrase tout de même : « Les ulémas se grisent comme des Suisses » ! Mais, d’ailleurs, pourquoi les Suisses ? Cela aurait mérité une autre note sur la relation qu’entretenait Flaubert avec les Suisses, non ?

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