La fin du diner

Voici le dénouement d’un drame social contemporain de la crise sanitaire du COVID tel qu’il est fidèlement rapporté dans BLIND DINNER.

(…)

Sur ce, les policiers remettent leur masque et sortent de l’immeuble. Je m’approche d’Anne et, d’un ton très doux, je lui demande :

« Ça va, Anne ? Ils ne t’ont pas fait mal, au moins ?

— Fous-moi la paix, Gérald, me répond-elle sèchement en me bousculant pour rejoindre l’ascenseur, suivie de près par Kris. »

Mais pourquoi elle me parle comme ça ? A moi, qui suis si gentil, si prévenant, si amoureux ! Sans parler de mes qualités morales ni de ma situation sociale ! Peut-être qu’elle ne m’aime plus, finalement ? Il faut que j’en aie le cœur net, absolument. Je me précipite pour retenir la porte de l’ascenseur dans lequel elles se sont entassées.

« Anne, tu ne m’aimes plus ?

— Foutez-lui donc la paix une fois pour toutes, Gérald ! me conseille Kris en tentant de refermer la porte sur elles. Vous n’avez pas encore compris, espèce de minus ?

— Vous, d’abord, je vous déteste, voilà ! Je remonte chez Renée, alors sortez de l’ascenseur. On tiendra jamais à trois là-dedans ! Et puis, avec votre quintal et demi, on serait en surcharge ! »

Et tout en la tirant par le bras, j’ajoute, définitif :

« Allez, la pouffiasse, on descend ! »Et voilà qu’elle me balance une gifle ! Non, mais sans blague! Une gifle ! À moi ! Enfin, vu d’ici, on dirait plutôt un coup de poing. J’aurais bien esquivé : un léger balancement du corps avec flexion d’un genou et pression sur la jambe opposée comme me l’avait appris un G.O. au Club Med de Cancùn ; mais là, j’ai pas eu le temps. Elle m’a pris par surprise, la vache. C’est souvent pas fair-play, les bonnes femmes. C’est comme ça, y a rien à faire.

La porte s’est refermée sur elles et l’ascenseur commence à monter. Très digne malgré la douleur, je sors ma pochette pour essuyer le sang qui coule de ma lèvre fendue et je rajuste mon nœud de cravate avant de me précipiter furieusement dans l’escalier à la poursuite de l’ascenseur.

L’appartement de Renée n’est qu’au deuxième étage, mais dans ces vieux immeubles, ça fait haut. J’ai beau être dans une parfaite forme physique pour mon âge, quand j’arrive devant la porte, les deux femmes se sont déjà engouffrées dans l’entrée. Heureusement, elles n’ont pas claqué la porte, ces deux gourdes ! J’entre et je traverse le salon à grand pas en zigzagant entre les canapés et les guéridons pour déboucher en pleine vitesse dans la salle à manger. J’aperçois Kris qui disparaît dans l’office en en claquant la porte. Je fonce. Au milieu de la pièce, il y a Charles, étendu sur le dos. Assise à califourchon sur son ventre, Renée est en train de le frapper avec son bouquet dont les fleurs se dispersent aux alentours.

« Pardon, excusez-moi, dis-je en passant par-dessus les jambes de l’écrivain. »

La porte de l’office ne résiste pas à mon assaut et, tel Hulk en sa fureur, d’un seul geste, j’envoie balader la table à roulette qui me barre le chemin.

« … extrêmement contagieuse qui demande la mise en œuvre de… »

Dans le fond de la cuisine, sous le Pizon Bros, Longchamp a coincé la tête de Mademoiselle Herr dans la porte du réfrigérateur sur laquelle il donne de grands coups d’épaule répétés.

« … et c’est seulement au prix de ces mesures difficiles et contraignantes, je le reconnais, que nous… »

À l’autre extrémité de la cuisine, André a saisi une planche à découper qu’il brandit en se précipitant vers le frigidaire. Pour le moment, je ne saurais dire s’il a l’intention d’en frapper le crâne de l’acteur où le postérieur de la pharmacienne.

« … plein accord avec les recommandations du Conseil Scientifique. Un couvre-feu immédiat et permanent, autrement dit un confinement total, 24 heures sur 24, avec la stricte interdiction de sortir pour quelque raison que… »

Je ne le saurai jamais, parce que Anne vient de faire un croche-pied à André. Il s’étale sur le carrelage sans avoir pu parvenir à ses fins.

« … pour une première période de deux semaines commençant à cet instant. »

En ce qui me concerne, j’ai enfin réussi à rejoindre Kris. Je l’attrape par la chaîne de vélo qu’elle porte autour du coup et je tente de la faire tournoyer autour de moi. Malheureusement, elle est bien trop lourde. Hulk y serait sans doute arrivé, mais je crois que moi, je ne parviendrai pas à la faire décoller. J’abandonne le projet pour entreprendre un étranglement.

« … Telles sont donc, mes chers compatriotes, les mesures qui… »

Mais voilà Anne qui vient à sa rescousse en me plantant une fourchette à huîtres dans l’épaule. Le hors d’œuvre ayant été du foie gras, je me demande où elle a trouvé l’instrument. Je lâche la grosse et flanque un coup de pied dans le tibia de ma chère épouse. Mais André a récupéré ses esprits et la planche à découper. Du coin de l’œil, je le vois qui…

« …. Vive la République et vive la France ! »

FIN

 

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