Vous en avez rêvé, vous y avez pensé… mais vous avez eu la flemme de vous lancer.
Alors, moi, maintenant que j’ai un peu de temps, je l’ai fait, je l’ai testé.
Je l’ai testé pour vous, pour pouvoir vous dire que ça ne fait pas mal, que c’est facile, rapide, à la portée de tout le monde, et que le résultat est étonnant.
Alors là, maintenant, vous vous demandez ce que j’ai bien pu faire : ce bougre a-t-il testé la nouvelle piste cyclable que la cinglée de l’Hôtel de Ville vient d’installer au milieu de la Place de l’Étoile et en sens inverse de la circulation ? A-t-il lu le dernier bouquin de Coutheillas ? A-t-il essayé la Vodka sans alcool de San Pellegrino ou la dernière croisière Costa à moins de 100€ par jour (payé par Costa à chaque passager volontaire) ?
Je n’ai rien fait de tout cela, mais quelque chose de beaucoup plus utile, quelque chose à laquelle vous viendrez tous, et plus vite que ça, mon zami !
J’ai testé pour vous … l’Intelligence Artificielle, l’I.A. en français , l’A.I. en langage universel.
Voici les conditions du test : j’ai fourni à ChatGPT le début d’une de mes histoires et je lui ai poliment demandé de bien vouloir la terminer pour moi.
Vous lirez ci-dessous :
1- En caractères droits, le debut de l’histoire (Les dames de Vichy) écrite par moi il y a quelques années.
2- En italiques, la fin que lui a donnée ChatGPT en quelques secondes
3- En caractères droits à nouveau la fin que je lui avais donnée à l’origine
Je vous laisse le soin de juger et de commenter les qualités et défauts du travail de ChatGPT
Mon début à moi
1— Vichy, novembre 1996
Il y a longtemps, c’était un grand hôtel luxueux. Il avait même été fréquenté par la cour de Napoléon III. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un trois étoiles. Dans l’immense salle à manger toute blanche, il n’y a que de petites tables, pour une ou deux personnes. L’alignement est impeccable : rangées de huit tables dans la largeur de la salle et de dix tables dans la longueur, quatre-vingt tables au total. Il est 19 heures 15, l’heure de l’unique service du diner. Une douzaine de tables seulement sont occupées, toutes par des dames seules et âgées. Elles sont venues en cure. Chacune à sa table, elles font face au côté de la salle d’où viennent les garçons chargés de plats. Le silence règne, troublé parfois par le choc d’un couteau sur une assiette. Toutes les tables qui sont occupées le sont par des femmes, toutes sauf une. Un homme est arrivé avec quelques minutes de retard. Il a une cinquantaine d’années. Guidé par un maître d’hôtel mince et pâle, il est placé à la droite de la table d’une dame seule. Elle a relevé sa voilette pour diner. Elle paraît encore plus âgée que les autres. Comme tous les pensionnaires, l’homme fait face au mur du fond. A la table qui est devant la sienne une autre femme seule lui tourne le dos. Il a apporté un magazine et se donne la contenance de le feuilleter en attendant le consommé. Un article concerne le film tiré de Gatsby le Magnifique. La couverture du magazine lui est consacrée. La dame à la voilette dit :
— Ah, monsieur, cet hôtel est bien triste aujourd’hui. Je l’ai connu longtemps avant-guerre au temps de sa splendeur. Nous y venions, mon mari et moi, passer quelques semaines au printemps quand nous revenions de notre propriété de Cannes où nous passions l’hiver.
Poli, l’homme répond :
— Effectivement, Madame, ce devait être très agréable à cette époque. -Vous n’imaginez pas, Monsieur. C’était merveilleux, les promenades dans la campagne autour de Vichy en Hispano-Suiza, conduits par Martial, notre chauffeur…
— Vous aviez une Hispano! Quelle belle voiture c’était !
— Après les concerts, qui avaient lieu presque chaque soir, nous allions au casino jusqu’au petit matin. Charles, mon mari, adorait le baccarat. Il en a perdu des sommes ! C’en était ridicule !
— Je crois que le casino a fermé il y a plusieurs années.
— Pas véritablement, mais il n’y a plus que des machines à sous. On ne sait plus s’amuser aujourd’hui. Nous, nous savions. Une fois par semaine, dans notre suite, nous recevions nos amis, des artistes, des hommes politiques. On se déguisait, on riait beaucoup. Tout ça c’est fini. Enfin, il faut se faire une raison…Bien, je vais maintenant vous laisser, car mon médecin m’ordonne de me coucher de bonne heure. J’espère vous revoir demain soir, au diner.
— Je suis navré madame. Mais je pars demain matin de bonne heure pour Clermont-Ferrand. J’aurais été ravi, mais…
(…)
La fin de ChatGPT
2 — (…)L’homme observa la dame s’éloigner lentement, enveloppée dans sa nostalgie. Le murmure de la salle à manger semblait s’estomper alors qu’elle disparaissait de vue. Il se retrouva seul, fixant la table vide devant lui, perdu dans ses propres pensées.
Le serveur apporta son consommé, mais l’homme ne put s’empêcher de penser à la splendeur passée de cet hôtel. Alors que la soupe fumante était devant lui, il replia le magazine et le posa délicatement sur la table. Ses yeux fixaient le mur du fond, mais son esprit était ailleurs, perdu dans les récits d’une époque révolue.
Le lendemain matin, l’homme quitta l’hôtel tôt, laissant derrière lui l’atmosphère empreinte de souvenirs. L’hôtel se réveillait doucement, prêt pour un autre jour de routine tranquille. Les dames en cure s’attableraient de nouveau, évoquant des souvenirs du passé, tandis que l’homme disparaissait dans l’aube naissante, emportant avec lui les échos d’une époque révolue et les récits d’une dame à la voilette.
Ma fin à moi
3 — (…) — Comme c’est dommage ! J’avais encore tant de choses à vous raconter, nos promenades à cheval avec l’ambassadeur d’Angleterre, nos parties de tennis avec le préfet… Enfin, tant pis ! Alors, adieu et bonsoir, cher Monsieur.
Elle se lève et s’éloigne lentement entre les tables.
L’homme reprend son magazine.
La dame qui occupait la table devant lui vient de finir de diner. Elle se lève. Elle se retourne vers l’homme et, en pliant sa serviette, elle dit :
— Ne croyez pas un mot de ce que Madeleine raconte. Elle est complètement folle !
P.S. À l’attention de ceux qui trouveraient ma chute un peu légère, je rappelle qu’il s’agit d’une histoire vraie.
C’est quelque chose que j’avais envisagé, mais je te délègue volontiers l’expérience.
Pour ce qui est de poser deux fois la même question, je l’ai fait et la réponse n’a pas été faite dans les mêmes termes. Je n’ai pas analysé les différences, mais cela me parait normal, car à deux instants successifs les connaissances de l’IA ne sont pas les mêmes.
Aux lecteurs offusqués par l’irruption de l’IA, je rappellerai que des « facilités » similaires existent depuis toujours en littérature : le plagiat et la rédaction par des « nègres ». La conclusion de Bruno est rassurante mais encore faudrait-il la démontrer. Or, nous ne savons pas ce que tu as demandé exactement à l’IA. Autrement dit, j’aimerais :
1 : que tu reposes la même question avec la même formulation pour savoir si l’IA rédigera exactement le même texte ou bien un autre
2 : et surtout que tu reposes la même question mais différemment, en demandant par exemple à l’IA d’imaginer une fin « humoristique » ou bien, pourquoi pas, « érotique ».
Je pense que l’on a, à travers cet exemple, la parfaite démonstration de la puissance singulière et de la vanité de l’IA (ou plutôt de l’intelligence artificielle générative de chat GPT).
– La puissance singulière : comme l’écrit Philippe, c’est épatant (j’adore ce mot qui est tout de même plus sexy que « bluffant »). L’IA n’a pas seulement une puissance de compilation : elle passe de la mémoire, qui nous connaissions jusqu’à présent, à l’intelligence en ce sens qu’elle est capable désormais d’utiliser elle-même cette mémoire en en connectant les éléments pertinents, ce qui est le propre de l’intelligence. Du moins de l’intelligence simplement passive. C’est déjà tout à fait extraordinaire, et source inépuisable de connaissances, à partir desquelles l’homme pourra créer.
– Mais, précisément, une puissance vaine. Si cette intelligence est générative, elle n’est en rien créatrice. Elle est incapable d’exprimer ni même de trouver ce qui n’existe pas préalablement dans sa mémoire. C’est en cela qu’elle est et restera toujours infiniment inférieure à l’homme. Si l’homme est un animal pensant, l’IA n’est qu’un animal capable de mémoriser et tirer parti de son expérience, mais pas de l’extrapoler, et donc de penser.
Les deux versions de la fin du texte proposé par Philippe en sont une exacte illustration : la fin de l’IA est une compilation plutôt brillante qui reconstitue une conclusion banale, PPCM de ce que l’IA a stocké dans ses serveurs ; mais jamais l’IA n’atteindra l’effet de totale surprise humoristique issue de l’intelligence créative de notre maître à tous.
–
Eh bien, voici au moins un sujet qui fait réfléchir et réagir, et de façon argumentée.
Lariegeoise y voit l’affadissement de la création et l’asservissement de l’individu aux choix de la machine.
Lorenzo admire le style de la réponse.
Jim me préfère au Robot, et ce choix n’est pas qu’amical mais aussi intellectuel et, dans une belle formule, assimile l’I.A. à de l’Imbécillité Administrée.
Intéressants ces commentaires, opposés et complémentaires. Mon avis à moi est un mélange de ces trois-là, mais surtout, il est provisoire. J’attends de voir.
Trop de nouveautés ont été portées aux nues ou vouées aux Gémonies bien trop tôt pour ne pas rester prudent.
Ma connaissance de l’IA est quasiment inexistante et de surcroît bien trop récente pour que je puisse adopter une position valable.
Il y a deux ou trois ans, j’avais acheté et lu un essai de la fille d’une amie sur le sujet de l’IA. Trop savant et trop compliqué pour moi, j’avais renoncé à donner mon avis sur cet ouvrage dans l’une de mes Critiques Aisées.
Sans connaissance théorique aucune sur le sujet, j’ai donc sauté à l’eau dans les conditions que vous connaissez.
Quelques informations de détail tout d’abord :
-il n’a fallu que 3 ou 4 secondes à chatGPT pour pondre son texte.
-A la place de « disparaissait de vue » j’aurais écrit « disparaissait de sa vue »
-A la place de « tandis que l’homme disparaissait » j’aurais écrit « tandis que l’homme disparaîtrait »
-A la place de « les récits d’une dame à la voilette », j’aurais écrit soit
« Les récits d’une dame à voilette »
Ou
« Les récits de la dame à la voilette »
A part ces détails, ma première réaction a été « l’épatement ». Je ne suis pas certain que ce mot existe, mais je n’ai pas envie de demander à l’IA de peur qu’elle ne me l’interdise.
Donc, j’ai été épaté par l’adaptation du style au cadre et au sujet abordé. C’était parfaitement nostalgique, très provincial, très daté milieu vingtième siècle. Ce texte aurait un gros succès populaire sur le forum que je ne fréquente plus guère, Le Monde de l’Écriture. Bien sûr, on ne retrouvait pas dans la chute, ou plutôt dans son absence de chute, l’humour un peu noir qui fait mon succès dans les salons.
Moi aussi, Jim, j’aime mieux mon texte que celui de l’IA.
Mais, au vu du seul début du texte, comment la machine aurait-elle pu savoir que mon ambiance de palace croulant sous les années préparait une vacherie de vielle dame jalouse et rancunière (et, je le rappelle, véridique)
On ne peut que constater que la création de l’IA est tout à fait conforme à mon début de texte. Et c’est bien là que je rejoins Lorenzo, impressionné par cette extrapolation.
Ensuite, j’ai voulu juger de la qualité même du texte, ou plutôt du style. Et là, je rejoins Lariegeoise dans sa comparaison furieuse avec la musique d’ascenseur et Jim dans sa nouvelle définition de l’acronyme I.A.
Guimauve, cliché, syntagmes figés bien sûr. Et inévitables aussi, du moins pour le moment, puisque que l’intelligence de l’IA n’est faite que de la compilation de millions de mots, de phrases et de textes, stock provenant par définition du plus grand nombre d’imbéciles et non d’un sous ensemble mieux choisi, parmi les écrivains par exemple. C’est ça l’Imbécillité Administrée de Jim.
Ce que je retiens de tout cela, c’est que la technique y est, elle est utilisable facilement pour le pékin technique que je suis, et avec la grande prudence et l’esprit critique d’un matérialiste cartésien et humaniste, je veux dire par là de l’H.H. (Honnête homme au sens du siècle que vous voudrez).
S’il fallait craindre quelque chose, je dirais que c’est Twitter, Facebook, TikTok, plus que l’IA.
Que les produits pouvant m’intéresser, tels que décelés par internet dans mes recherches antérieures, apparaissent en pop up sur mon écran ne me paraît pas beaucoup plus scandaleux que le choix des produits mis en tête de gondole, ou le fait que les eaux minérales soient toujours tout au fond, le plus sombre et le plus sale, des super marchés.
On peut prendre cela pour un complot, mais ce n’est que de l’action marketing bien comprise et mise en œuvre depuis Boucicaut dont l’intelligence n’était pas artificielle.
Il n’empêche que c’est très impressionnant parce que c’est tout-à-fait dans l’esprit bien que moins humoristique.
Moi, si j’avais eu l’IA, j’aurais fait moins de fautes d’orthographe …
CQFD: chat Gpt produit une guimauve fadasse semblable à la musique d’ascenseur…
Vous y viendrez tous ?
Mais vous y êtes déjà … l’IA regle déjà vos choix , regardez les pubs qui vous arrivent sur internet chaque fois que vous y effectuez une recherche ou un achat.
PS: je préfère la fin de l’écrivain de l’histoire à celle d’une machine dépourvue d’imagination débridée. L’IA est l’imbécilité administrée.
PS2: Rien ne vaut une réflexion après la lecture d’un journal le matin.
Bien! Je ne me suis pas levè pour rien ce matin, comme d’habitude, mais une habitude récompensée ce matin
(Je me souviens de cette histoire)