Les corneilles du septième ciel (50)

Chapitre 50

Ne restait plus à Françoise et à Bruno qu’à démontrer l’existence du chantage supposé de Lorenzo sur le lauréat du Prix Goncourt. Ni l’une ni l’autre, pas plus d’ailleurs que l’auteur, n’avait la moindre idée pour y parvenir. Le hasard faisant bien les choses, ce fut le moment que choisirent les lecteurs du JdC pour poser deux questions à la rédaction. Cet intermède fit le bonheur de l’auteur des Corneilles en lui offrant un temps de réflexion inespéré.

La première question concernait justement la véritable identité de l’auteur des Corneilles. Qui se cachait derrière le pseudonyme de Lorenzo dell’Acqua ? Le doute des lecteurs venait des annotations quotidiennes de leur Bienaimé Rédacteur en Chef du JdC affirmant avec la plus grande fermeté qu’il n’en était pas l’auteur alors que leur style fluide, leur humour sophistiqué, leur profonde bienveillance évoquaient de façon évidente ses propres écrits. Seule la cohérence de l’histoire laissait parfois à désirer comme le fit remarquer Lariègeoise. L’insistance obsessionnelle de Ph. à vouloir se disculper apparaissait comme un leurre destiné à éloigner les soupçons. La ficelle était un peu grosse et ses avertissements contreproductifs semblaient n’avoir pour objectif que de masquer la vérité. Selon la majorité des lecteurs, c’était la preuve indirecte et irréfutable qu’il était bien l’auteur des Corneilles.

Deuxième fausse piste destinée à semer le trouble, la critique flatteuse, pour ne pas dire dithyrambique, que Ph. avait faite de ce roman. Or une telle pluie d’éloges n’était pas dans ses habitudes, loin de là ! Inspiré par le jeune Truffaut, Ph. était un critique féroce qui ne laissait rien passer et surtout pas les erreurs de cohérence, inacceptables à ses yeux. On se rappelle qu’il avait descendu pour cette même raison dès sa parution en 1920 et en flèche les aventures de Swann au pays des Madeleine parce que ce dernier ne prononçait jamais de phrase de moins de cent mots. Pareil pour le Grand Meaulnes dont la fiancée était selon lui une militante d’extrême gauche dépourvue de la moindre sensibilité qui ne pouvait en aucun cas l’avoir séduit. La plupart des lecteurs du JdC ne furent pas dupes et trouvèrent que son plébiscite des Corneilles était suffisamment inhabituel pour laisser planer un doute sur sa sincérité à moins que son auteur ne fût en réalité lui-même. Vous pigez ?

Quels étaient les autres prétendants possibles ? La candidature de Lorenzo s’effondra d’elle-même le jour où Ph. publia ses œuvres complètes dans le numéro 2015 du JdC. Où et comment les avait-il découvertes ? Avec quelle arrière-pensée ? Nul ne le sait. Toujours est-il que le constat fut accablant. La nouvelle de Lorenzo à l’origine de Blind Dinner n’était qu’une rédaction scolaire et laborieuse de deux pages et demie n’abordant ni les problèmes sociologiques ni, encore moins, les problèmes philosophiques de notre époque contrairement au chef d’œuvre de Ph. Quant à son ouvrage intitulé « La vie et l’œuvre de Papa », un éloge inversé de celui à qui il devait tout (Folio n°2589, malheureusement épuisé), c’était une accumulation de rancœurs mesquines qui ne pouvaient inspirer que du dégoût et n’intéresser personne. Seuls ses poèmes témoignaient d’une certaine qualité littéraire mais ils dataient tous d’avant mai 1968.

Lariégeoise, dont la sensibilité rare et l’humour décalé éclairaient souvent les mornes commentaires du JdC, était une autre candidate fort plausible. Mais, comme aimait à le rappeler notre Rédacteur en Chef-Bienaimé, ses difficultés avec le clavier de son ordinateur portable ne lui permettrait jamais d’écrire un roman en moins de dix ans. De même, René-Jean, alias Louis-Charles dans la fiction, ne pouvait être lui non plus à l’origine d’un texte dont le style était certes imparfait mais qui ne comportait cependant jamais la moindre expression québécoise. Certains soupçonnèrent même Bruno, pourtant d’une discrétion exemplaire, à cause de sa coiffure exubérante typique des anarchistes de la fin du siècle dernier. Quant à Jim, il prétendait ne connaître des corneilles que leurs fientes (je cite) qui venaient dégueulasser sa BMW 5590 cm3 bi-turbo injection gris métallisé garée en bas de chez lui. Une honte qui, selon lui, discréditait à jamais ces volatiles encore plus cons (je cite) que les pigeons et les mouettes chers à Ph.. Imaginer que Jim puisse intituler son roman Les Corneilles du Septième Ciel relevait donc de la plus grande méconnaissance de cet ingénieur scientifique qui détestait les oiseaux. Quant à Zéro Lamy, il excellait surtout dans les récits de sorcellerie encore en vigueur dans l’Afrique merveilleuse de son service militaire en compagnie de sa 2 CV et de ses cannettes de bière.

Comme le démontre de façon indiscutable cette analyse d’une grande objectivité, seul Ph. réunissait les qualités et les compétences exigées par la rédaction d’une œuvre aussi admirable que les Corneilles. Pour preuve, aucun lecteur du JdC en dehors de Lariégeoise ne crut une seconde à ses dénégations. On ne connut les raisons de l’erreur de clairvoyance de cette dernière que des années plus tard quand elle mit en vente chez Sotheby’s les trois cents lettres que lui avait adressées le jeune Ph. dans un style dont le classicisme rappelait les déclarations d’amour des poètes de la fin du XVIII ème (qu’il avait recopiées sans vergogne d’après Louis-Charles).

A SUIVRE ????

2 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (50) »

  1. Et pan!!!!
    Mais comment résister à ce torrent verbal , vertigineux et oulipien en diable…
    Lorenzo , coucou déjanté fait son nid dans ce JDC avec la complicité désintéressée de notre bien-aimé rédacteur…
    Les vacances sont finies, il va falloir penser aux choses sérieuses … vous savez Amazon ….et ses étoiles….

  2. Ce cinquantième chapitre (OMG) suppute et glose abondamment sur le véritable auteur des Corneilles du 7eme ciel.
    La meilleure preuve que je ne suis pas l’auteur des Corneilles, c’est que, si je l’étais , le mot FIN aurait été écrit depuis quelques temps déjà.

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