Le capitaine Volkonogov s’est échappé – Critique aisée n°261

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Critique aisée n°261

Le capitaine Volkonogov s’est échappé
Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov – 2021
Youri Borissov

Leningrad-1938. Une partie de la ville est composée des palais de l’ancien régime transformés en bâtiments administratifs aux parquets poussiéreux et sonores, remplis de fonctionnaires résignés et de rayonnages surchargés de dossiers.

Dans l’autre partie, ce ne sont qu’immeubles d’habitation vétustes aux façades décrépies, aux fenêtres aléatoires, aux escaliers incertains et aux toitures fuyardes. Les rues y sont sans trottoir, sans chaussée, constellées de flaques de boue et de tas d’ordure. Ses habitants sont des zombies faméliques en guenilles, sans espoir. Paradis stalinien…

Parfois, dans une référence aux films de science-fiction, tel un vaisseau venu d’une autre planète, énorme et silencieux, un Zeppelin passe lentement au ras des toitures, annonçant le pacte germano-soviétique qui, un an plus tard, scellera la complicité de Staline et Hitler dans l’agression à venir de la Pologne.

Au milieu de cette ville en décrépitude peuplée de fantômes apathiques, des jeunes hommes en habit rouge évoluent librement. Ils sont en pleine santé, ils cultivent leur corps par la lutte et la gymnastique, ils jouent aux volley-ball sous les lambris de l’ancienne capitale impériale et chantent ces belles chansons russes mélancoliques qui leur font croire qu’ils ont une âme. Mais ils n’en n’ont pas. Ils sont officiers dans la police politique. Sur dénonciation , ils arrêtent des hommes et des femmes, les questionnent, les torturent jusqu’à ce qu’ils avouent, remplissent un dossier et passent au suivant. Ils torturent, mais ils n’exécutent pas eux-mêmes ; c’est la tâche d’un bourreau méthodique qu’on leur a d’ailleurs fait apprécier au cours de leur instruction. Ils sont beaux, ils sont forts, ils sont russes, ils sont patriotes, ils n’ont pas de regret, pas de remords, pas de sentiment, pas d’âme.

Ils sont les exécutants des grandes purges ordonnées par Staline. Mais à présent, les purges s’étendent aux officiers de la police politique eux-mêmes, qui sont convoqués les uns après les autres pour une « réévaluation » dont ils ne reviennent jamais.

Le film commence avec la fuite, juste à temps, du Capitaine Volkonogov. La fuite de Volkonogov devant ses anciens collègues qui le poursuivent à mort à travers les vieux palais et les faubourgs en ruine de la ville impériale constitue la partie action du film, parfaitement réussie sur le plan cinématographique dans ces décors qui, il faut bien le dire, sont parfaitement propices à ce genre d’action. Mais dès la fin du premier tiers du film, cette poursuite va se fondre dans une étrange recherche spirituelle. Dans une séquence onirique que je ne raconterai pas tant elle est saisissante, le Capitaine Volkonogov va réaliser que ses actions passées sont autant de crimes qui ne pourront qu’entrainer sa damnation avec les horribles souffrances éternelles qu’elle comporte. Il ne pourra l’éviter que s’il obtient le pardon d’une seule de ses victimes. C’est à cette quête qu’il va se consacrer jusqu’à la fin, et je ne vous dirai pas laquelle.

Les couleurs brique, terre de Sienne et verdâtre des décors s’accordent avec celles des guenilles que portent les zombies qui les peuplent et contrastent avec l’impeccable rouge anglais des uniformes.

L’excellente bande son participe à la peur et à la désespérance avec l’amplification des pas lourds sur les parquets sonores des ministères qui se transforment en profonds battements venant créer une musique angoissante.

Le film est parfaitement réalisé et parfaitement interprété, particulièrement par l’acteur principal, Youri Borissov, qui incarne le capitaine fuyard, tout d’abord avec froideur et puissance, puis avec panique et désespoir.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je vous raconte tout ça : si vous avez déjà vu le film, vous le savez déjà. Si vous ne l’avez pas vu, c’est probablement trop tard, car il ne se joue pratiquement plus nulle part.

Ah si ! Peut-être encore aux 3 Luxembourg…

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