Juliette et le jardinier

Ce texte a déjà été diffusé le 2 avril 2019

temps de lecture : 4 minutes 

Elle, c’est Juliette. Elle est belle comme une rose du matin, comme une goutte d’eau de pluie, comme un frisson dans les feuilles de bouleau, comme un parfum de cerise. Elle chante comme un rouge-gorge, elle parle comme l’eau de la fontaine, elle bouge comme l’ombre d’un roseau. Je l’aime depuis toujours ; depuis que je l’ai vue pour la première fois sortir de Santa Anastasia auprès de sa mère, je l’aime ; depuis que je guette à sa fenêtre le plus léger mouvement de rideau, je l’aime davantage ; depuis que je suis entré au service son père et que je la vois chaque jour, je suis fou d’elle, j’explose d’amour, je meurs de désir. Mais, bientôt, j’oserai lui parler, moi, le jardinier, elle, la fille unique de la plus grande famille de la ville. Je lui dirai que je l’aime, que pour elle je gagnerai des fortunes, je régnerai sur un archipel et je l’en ferai reine. Elle sourira, elle comprendra et, un jour, elle m’aimera.

Elle m’aimera, moi, le presque rien du tout, le fils de personne, le vaurien, le voleur de bourses, l’écorcheur de chats. Elle m’aimera, moi, le presque bossu, le trop grand, le trop maigre, le trop laid, elle m’aimera. Je lui parlerai et elle m’aimera. Je lui parlerai demain à l’aurore. C’est pour lui parler demain à l’aurore que je me suis caché là, dans ce buisson. De là, je peux voir sa fenêtre. J’y resterai sans bouger, toute la nuit, éveillé, pendant qu’elle dormira et, quand au petit matin elle apparaitra, je lui parlerai, et elle m’aimera.

Mais il y a ce garçon de l’autre jour. Celui qui était à la sortie de la messe à Santa Anastasia. On aurait dit qu’il attendait Juliette. Quand elle est sortie, pendant un moment, j’ai bien cru qu’elle lui souriait, mais maintenant, je pense que c’est le soleil qui l’éblouissait. Mais, lui, le garçon, j’en suis sûr, il lui a souri. Lui, le bellâtre, le dandy, l’efféminé. Lui, Roméo, le fils cadet de l’autre grande famille de Vérone. Il lui a souri, lui qui a tout, la beauté, la famille, la fortune. Alors que moi, je n’ai rien.

Oui, mais moi, tout à l’heure, je lui parlerai, à Juliette. Quand elle paraitra à son balcon, je sortirai de mon buisson et je lui parlerai. Et elle m’écoutera, elle me comprendra et un jour, elle m’aimera.

Mais qui vient, là, dans la nuit ? Qui a sauté le mur du jardin ? Qui s’approche de la maison ? Qui siffle doucement ? Et voilà Juliette qui apparait ! Elle se penche au balcon, lève une lanterne vers la silhouette. C’est lui, c’est Roméo, le bellâtre, le dandy, l’efféminé. Et elle lui parle doucement et lui aussi, il lui parle doucement ; tellement doucement que je n’entends pas ce qu’ils se disent ; des petites étoiles d’argent se mettent à danser devant mes yeux ; d’un coup, je me sens tout faible et je tombe à genoux. Je ne peux plus quitter des yeux ce spectacle qui me renverse : par le lierre, il a grimpé jusqu’à son balcon ; maintenant, ils ne parlent plus, ils se regardent ; maintenant, ils s’embrassent ; et voilà qu’elle s’écarte de Roméo, qu’elle le prend par la main et qu’elle l’entraine à l’intérieur. La lumière de sa lanterne disparait et je ne vois plus rien que le rouge de mes paupières et je n’entends plus rien que les notes fausses de ce carillon qui est entré dans ma tête. Mes mains sont moites, mon front ruisselle, mes entrailles se nouent et se dénouent comme si un serpent s’était installé dans mon ventre. Ma colère monte à un point que je n’avais jamais connu. J’ai envie de détruire toutes les fleurs du jardin, j’ai envie d’écorcher cent chats à la suite, j’ai envie de mettre le feu à la maison. J’ai envie de tuer, de le tuer, de les tuer.

C’est cela, je vais les tuer, tous les deux. Je commencerai par lui, quand il redescendra du balcon par le lierre. Il ne me verra pas. Un coup de dague dans les reins et il tombera sur le sol. Je l’achèverai en le frappant à la gorge. Et puis, à mon tour, moi aussi je monterai par le lierre sur le balcon et avec ma dague, je frapperai Juliette, son ventre impur, sa poitrine impudique, son visage hypocrite.

C’est cela, je vais attendre ici et les tuer tous les deux. Le rossignol a fini de chanter. Ce sera bientôt au tour de l’alouette. Ce sera bientôt l’aurore. Il n’y a plus longtemps à attendre.

 

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4 réflexions sur « Juliette et le jardinier »

  1. Il etait temps de rétablir la vérité sur ces fake news trop longtemps propagées par Jacques Spire, Alexis Michalik et leurs zélotes.

  2. Holà! Mais c’est de la cancel-culture que vous propagez ici cher Philippe. Que Romeo s’en sorte bien, j’accepte, c’est conforme à sa réputation. Mais épargnez au moins le panache de notre Cyrano national.

  3. Mais cette fin n’est qu’imaginée par le jardinier qui, en réalité, ne pourra perpétrer le double crime projeté. En effet, après une folle nuit d’amour, Romeo n’est pas redescendu par le balcon : il est sorti par la grande porte du palais Capulet, acclamé par toute la famille rassemblée dans le grand escalier. On sait bien comment sont morts Monsieur et Madame Montaigu : ensemble, à 89 ans, dans leur palais de Vérone, entourés de leurs sept enfants et de leurs vingt-huit petits enfants, sans compter le Doge de Venise, le Pape Urbain VII et Leonardo Da Vinci qui passait par là, toujours en avance sur son temps.
    Par contre, ce que l’on sait moins, c’est que Cyrano est mort d’un coup de bûche sur la tête que lui avait porté Christian à la demande de Roxane car la pauvre fille n’en pouvait plus de ses alexandrins.

  4. Tout de même! c’est une fin violente, en matière de palabre sous le balcon d’une belle, je préfère celle de Cyrano de Bergerac.

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