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Couleur café n°30
Les petits cons
La Coupole, Boulevard du Montparnasse, Paris
Quand je vois ces jeunes crétins en T-shirt siglé qui, l’air ennuyé, traversent la Coupole derrière leurs parents ravis, et même parfois, leurs grands-parents rayonnants,
Quand je vois ces grands dépendeurs d’andouilles jeter un œil blasé sur la salle encore à moitié vide,
Quand je vois ces petits cons entrer ici sans rien savoir de ce que ceux qui les y amènent aujourd’hui y ont un jour connu ou auraient aimé y connaitre,
Quand je vois ces godelureaux débraillés s’effondrer sur les banquettes de cette salle sans la moindre idée de ce qu’ont pu être ici les soirées bruyantes et enfumées des après France-Galles, les après-midi oisives où Ferdinand Lop venait vendre ses essais philosophiques et, à défaut, ses portraits de Jeanne d’Arc, les tardifs déjeuners du dimanche où apparaissaient, hiératiques, le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, son chapeau noir, son écharpe rouge, son air chafouin et sa hautaine indifférence,
Quand je vois tout cela, je me dis que je donnerais beaucoup pour être à leur place.
La Coupole c’était aussi le bon temps où Georges Brassens chantait:
« Quand on est con, on est con… »
Les vieux cons, on les excuse, ils ont des excuses et sont inoffensifs.
Les petits cons, à La Coupole ou aux motos-coss en ville, ils sont insupportables.
Mon cher Lorenzo,
à la question que vous vous posez, je répondrai ceci :
Il est plus que probable que ces jeunes cons pensent que les clients de La Coupole, qu’ils picolent en faisant des pronostics sur le loto ou qu’ils dégustent une flute de champagne en devisant de la nature des choses et de la difficulté d’être, sont des vieux cons, mais s’il y a une chose dont on peut être certains, c’est qu’ils ne souhaitent pas être à leur place.
Je doute qu’ils pensent, mais s’ils pensent, qu’ils pensent ce qu’ils veulent, mais qu’ils ne viennent pas l’écrire dans mon journal.
Et qu’est-ce qu’ils pensent, les petits cons, en vous voyant vous, les vieux cons en train de picoler à la Coupole ?
(C’est de la provocation, je le reconnais , mais j’ai une excuse, j’ai le même âge que vous )
Cher M. Lafon qu’on voyait souvent, digne représentant de ces bougnats venus conquérir Paris en ayant coché d’abord la case bistro-charbonier.
Qu’il était bon de rédiger un chèque de 45 francs à l’ordre de Fraux, Lafon et Cie.
Moi aussi! J’ai la nostalgie de ces dîners qui pouvaient s’attarder après le cinéma avec une simple choucroute accompagnée d’un (ou plusieurs) demis (voire formidables), de gitanes, et d’une bonne compagnie. Tout à changer subitement quand Flo s’est emparé de La Coupole.