La vérité scientifique

Morceau choisi

 La vérité scientifique s’établit entre gens de bonne compagnie. Elle vit grâce au crédit que les uns accordent aux autres et réciproquement. Et jusqu’à preuve du contraire. N’est-ce pas, Monsieur James ?

 (…) Prenons cet objet là-bas sur le mur. Pour vous et pour moi, c’est une horloge, et pourtant aucun de nous n’a vu le mécanisme caché qui fait que c’est bien une horloge. Nous acceptons cette idée comme vraie sans rien faire pour la vérifier. Que le témoignage des circonstances soit suffisant et nous marchons, sans avoir besoin du témoignage de nos yeux. Quoique n’ayant jamais vu le Japon, nous admettons tous qu’il existe parce que cela nous réussit d’y croire, tout ce que nous savons se mettant d’accord avec cette croyance sans que rien ne se jette à la traverse. De même, nous admettons que l’objet en question est une horloge. Dire que notre croyance est vérifiée, c’est dire ici qu’elle ne nous conduit à aucune déception, à rien qui nous donne un démenti.
En fait, la vérité vit à crédit la plupart du temps. Nos pensées et nos croyances passent comme monnaie ayant cours tant que rien ne les fait refuser, exactement comme les billets de banque tant que personne ne les refuse. Mais tout ceci sous-entend des vérifications expressément faites quelque part, des confrontations directes avec les faits, sans quoi tout notre édifice de vérité s’écroule comme s’écroulerait un système financier à la base duquel manquerait toute réserve métallique.
Vous acceptez ma vérification pour une chose et moi j’accepte pour une autre votre vérification. Il se fait entre nous un trafic de vérité.

William James, (1842-1910) philosophe, psychologue américain,
Le Pragmatisme (1907)

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