Ne me secouez pas…

Morceau choisi

 « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes », disait Henri Calet, le délicat poète écrivain parisien anarchiste libertaire, et la métaphore, à peine esquissée, était belle, évidente, humaine. Pourtant Calet n’était pas un pleurnicheur. C’était juste un homme sensible qui avait beaucoup vécu.
Mais aujourd’hui, c’est différent. A l’âge de 93 ans, cet homme honorable que fût sans doute Stephan Hessel eut l’idée d’écrire « Indignez-vous ! ». L’invraisemblable succès de ce tout petit opuscule, tiré à quatre millions d’exemplaires, manifeste indigent, enfonceur de portes ouvertes, farci de bons sentiments à deux roupies et d’aphorismes gratuits, est bien le signe que dès 2010, l’année de sa parution, nous étions entrés dans une nouvelle ère, celle des geignards hypersensibles, dont la susceptibilité scrupuleuse, sans cesse aux aguets

du moindre écart de langage ou de la moindre approximation ou du moindre raccourci par rapport à la norme admise par une élite proclamée et exacerbée, conduit à l’indignation permanente et perpétuelle. « Ne dites rien, ne faites rien, n’écrivez rien qui puisse m’indigner moi, ou me froisser moi, moi, avec mon éducation, mes connaissances, mes préjugés, mes insuffisances, mon ignorance, ma bêtise. J’ai raison, je le sais, tous les réseaux sociaux me le disent. Alors, surveillez votre langage, sinon, je  vais m’indigner et il vous en cuira. »

Voici sur ce sujet un passage d’un excellent roman dont je ferai surement un jour une Critique aisée.

(…) ou alors le degré de sensibilité des gens étaient devenus tel qu’il fallait peut-être renoncer à toute vie en société, et vivre chacun tanqué chez soi et ne sortir que pour de brèves interactions avec des gens triés sur le volet, des gens qui utilisent les mêmes mots que vous et leur attribuent exactement le même sens, pour être sûr de ne jamais être blessé, puisque c’était devenu l’obsession de notre époque de petites choses geignardes et souffreteuses et désireuse d’assurer leur sécurité émotionnelle, de ne jamais, JAMAIS,  être confronté à un mot qui puisse heurter leur sensibilité.

Le Voyant d’Étampes – Abel Quentin

 

2 réflexions sur « Ne me secouez pas… »

  1. Cette exhortation, harangue, homélie, appelez ça comme vous voudrez, de Stéphane Hessel, personnellement je l’avais trouvée d’une suffisance parfaitement indigne, indigne de sens, indigne de responsabilité. Je me souviens d’avoir dit à un interlocuteur lors d’une discussion enflammée « ce Stéphane Hessel je l’emmerde ». Un verbe qui fait son chemin.

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