La critique

Morceau choisi

La critique

Ici je vous adresse une prière. Lisez le moins possible d’ouvrages critiques ou esthétiques. Ce sont, ou bien des produits de l’esprit de chapelle, pétrifiés, privés de sens dans leur durcissement sans vie, ou bien d’habiles jeux verbaux ; un jour une opinion y fait loi, un autre jour c’est l’opinion contraire. Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles. Donnez toujours raison à votre sentiment à vous contre ces analyses, ces comptes rendus, ces introductions. Eussiez-vous même tort, le développement naturel de votre vie intérieure vous conduira lentement, avec le temps, à un autre état de connaissance. Laissez à vos jugements leur développement propre, silencieux. Ne le contrariez pas, car, comme tout progrès, il doit venir du profond de votre  être et ne peut souffrir ni pression ni hâte. Porter jusqu’au terme, puis enfanter : tout est là. Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment, murir en vous, dans l’obscur, dans l’inexprimable, dans l’inconscient, ces régions fermées à l’entendement. Attendez avec humilité́ et patience l’heure de la naissance d’une nouvelle clarté́. L’art exige de ses simples fidèles autant que des créateurs.

Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète

 

Une réflexion sur « La critique »

  1. Prescription bien reçue. Pour certaines œuvres dites contemporaines, je continuerai donc à les laisser mûrir en moi, à attendre que leur clarté se révèle et me permette un jour de crier « eurêka ». Mais le temps presse quand même, je ne pourrai pas attendre indéfiniment.

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