Sacrée soirée (7)

7

Je me tourne vers Charles et, tout en le saluant de mon verre levé :

— Ah ça ! Bravo ! Vous l’avez bien mouché, le prétentieux !

— Moi ? Mais, pas du tout, voyons ! Qu’est-ce que vous allez chercher là ? me lance-t-il d’un ton hautain en me tournant le dos pour rejoindre le groupe du canapé.

Je reviens à ma contemplation des arbres de la place des Vosges. J’entends Renée qui renouvelle sa question : « Est-ce que quelqu’un a écouté le Président ? » Il semble que non : personne ne l’a écouté.

— J’aurais bien voulu, dit Charles, mais j’étais dans mon Uber avec de la musique techno à fond. Le chauffeur avait une tellement sale tête que je n’ai pas osé lui demander de passer sur France Inter. Vraiment…Uber ! Il y a du relâchement !

Et voilà Anne qui s’y met :

— Moi aussi, j’aurais bien voulu écouter, se plaint-elle. Ça peut être grave, quand même, ce qui se passe. Mais Gérald s’est lancé dans une interminable démonstration mathématique. Du coup, on n’a rien entendu. Et vous, François, vous avez écouté ?

— Moi, je m’en fous, répond-il.

Et il ajoute : « Complètement ! » C’est qu’il serait presque grossier, le Longchamp. C’est ça, le problème avec les acteurs : ils sont reçus dans le meilleur monde mais ils n’ont aucune éducation. Ce n’est pas entièrement de leur faute, il est vrai… ascension trop rapide ! Mais quand même ! Pourtant, loin d’être choquée, Anne lui adresse un sourire enjôleur.

— Oui, c’est vrai que vous ne risquez rien… vous encore êtes jeune, vous, dit-elle en insistant sur le dernier vous.

Mais elle en est pour ses frais : au lieu de la réplique galante qu’elle attendait, l’acteur dit froidement :

— Exact !

Ah, le goujat !

On sonne à nouveau. Renée pose sa coupe et se lève. Pour une fois, elle n’expliquera pas pourquoi c’est elle et non la bonne qui va ouvrir la porte. Dehors, il commence à pleuvoir. La Place des Vosges est déserte. C’est étrange, il est à peine neuf heures.

— … grave. Une petite demi-heure, c’est tout à fait pardonnable ! D’ailleurs, vous êtes tout pardonné ! Ah ! Ah ! D’autant plus que vous n’êtes pas le dernier. Non, non. Il nous manque encore un convive… enfin une convive… enfin, vous verrez bien.

C’est Renée qui revient au salon entrainant par la main un grand dadais au visage un peu mou. Avec sa coiffure floue, son jean trop large et sa veste en tweed, il fait plutôt démodé. Je trouve surtout qu’il dénote pas mal dans ce salon. Il aurait pu faire un effort pour s’habiller correctement. Peut-être pas comme l’autre zazou, mais quand même.

A SUIVRE

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5 Sep, 07:47 Théorie mathématique de la bêtise
5 Sep, 16:47 Brèves de mon comptoir (3)
6 Sep, 07:47 Bons numéros (8)

3 réflexions sur « Sacrée soirée (7) »

  1. @Lariegeoise
    « Ce récit a des allures de bouts rimes »
    rassure-toi, il y a un sens à tout ça, du moins j’ai voulu en donner un ; il apparaitra je l’espère au cours des épisodes suivants. Celui-ci n’était que le 7eme sur 28. Il y a le temps. Place toi dans ce diner comme une observatrice muette. Je sais que ce n’est pas toujours facile.

    « on s’y perd un peu dans ces dialogues vifs entre coqs! »
    C’est vrai, mais, premièrement c’est l’inconvénient des feuilletons. Il faut se rappeler ce qui s’est passé avant. Deuxièmement, on n’est pas obligé de tout savoir tout de suite de l’environnement de l’intrigue (Procédé classique de création de suspense) On découvrira ou on devinera petit à petit au cours des conversations entre invités ce qui se passe à l’extérieur de ce huis clos, par exemple pourquoi et de quoi le président va parler. (Peut-être serait-il utile de savoir que j’ai commencé à écrire ce texte en début d’année 2020…) Mais en l’occurrence, peu importe, ce n’est pas le vrai sujet de cette histoire.
    J’essaie de créer l’ambiance d’un diner dans lequel les conversations demeurent mondaines, anodines et décousues jusqu’à ce que les vrais sujets importants (aujourd’hui, on dirait clivant) soient mentionnés et que des tensions apparaissent.

    « aucune trace de son allocution potentielle dans les épisodes précédents…. »
    Erreur, chère Lariégoise, erreur. La preuve :
    4eme épisode :
    « — Dites-moi, vous avez écouté le Président ? poursuit-elle. Moi, je n’ai pas pu, les préparatifs du diner, vous comprenez… Ah ! On a sonné. Pardonnez-moi de vous laisser seuls un instant, il faut que j’aille ouvrir à mes invités. » (Procédé classique de création de suspense; connais-tu les fusils de Tchekov ?)

    « PS – le capchose m’exclut des robots
    – mais j’ai beau cocher commentaires et tout et tout
    je ne reçois qu’un vieux commentaire de Claude, toujours le même…
     »
    Tu en as de la chance !
    Désolé, je suis en bagarre technologique avec mon hébergeur (IONOS) pour régler ces problèmes. Ses services d’assistance ne sont pas vraiment à la hauteur, en tout cas pas à la mienne. J’en ai autant au service de WordPress. Il faut pour le moment se résoudre à passer régulièrement de sa propre initiative sur le JdC pour voir si le facteur a apporté qqch.
    Bon courage.

  2. Ce récit a des allures de bouts rimes et à x jours d’intervalle on s’y perd un peu dans ces dialogues vifs entre coqs!
    Ainsi je n’avais pas saisi qu’un Président devait parler…. aucune trace de son allocution potentielle dans les épisodes précédents….
    Me voila doublement interrogative: prise de parole sur quoi , concernant les vieux , donc.
    Et surtout qui vas tu nous inventer dans l’habit de ce bobo dépenaillé…
    PS – le capchose m’exclut des robots
    – mais j’ai beau cocher commentaires et tout et tout
    je ne reçois qu’un vieux commentaire de Claude, toujours le même…

  3. Le « complètement » du bellâtre sonne creux à côté d’un « j’m’en fout pas mal » de la môme Piaf.

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