Des films trop compliqués

Morceau choisi 

(…) je ne me sentirais plus capable d’être critique de cinéma aujourd’hui, car les films sont devenus trop compliqués. À l’époque où j’étais critique, tous les films étaient conçus pour le grand public, je n’avais pas une impression d’imposture. Il m’arrivait d’être troublé quand un film était trop subtil. Il y a 20 ans, les films étaient faits intelligemment, mais l’intelligence se trouvait derrière la caméra, dans la façon de raconter une histoire. Aujourd’hui, l’intelligence est sur l’écran mais, souvent il y a une grande maladresse derrière la caméra. Les critiques ne savent pas rendre compte de l’exécution ; ils savent bien rendre compte des intentions, ils ont aidé en cela par des dossiers de presse généreux. Pourtant, l’exécution, c’est ce que ressent le public. Je trouve superficiel la plupart des compte rendus de films ou de livres ; ils se recopient les uns les autres, c’est dommage.

François Truffaut
Entretien avec Franck Maubert – Avril 1982

 

9 réflexions sur « Des films trop compliqués »

  1. « Ivanhoë », de Richard Thorpe, sur Arte, ça, c’est du cinéma !
    Comme vous l’avez remarqué, c’est tout sauf un banal film de capes et d’épées.

  2. Encore une fois en désaccord : par exemple lire Maupassant ( Le Horla) . Se rappeller aussi que le roman de P. Benchley paru en 1974, un an avant le film, non content d’avoir été le succès de l’été (justement) avait empêché les gens de se baigner en mer pendant toute une saison, jusqu’à ce ue le film prenne le relai.
    La peur, comme tous les autres sentiments, peut se décrire très bien en littérature.

  3. @Philippe. Tu pourrais commencer l’année par des bonnes nouvelles ! Moi qui pensais te confier la réparation du carburateur de mon Solex …

    Cela dit, le Salaire de la peur est un roman médiocre à mon goût, et un film excellent. La peur, ça se montre, ça ne se décrit pas …

  4. Je pense que l’on peut gravir l’Everest, construire une horloge, cuisiner un Navarin d’agneau, traverser l’Atlantique sur un voilier de 33 pieds, réparer un carburateur, mais je ne le fais pas. Je ne saurais ou ne pourrais tout simplement pas. Cela ne prouve pas que c’est impossible.

  5. Puisque tu penses que cette scène filmée peut être transposée en littérature et donner la même émotion, eh bien, va s’y, écris la.
    Lorenzo Truffo

  6. Ce que tu dis n’est pas contradictoire, bien au contraire. Tu exprimes justement ce que j’essaie maladroitement de dire. La scène des deux mains ne peut pas exister en littérature. Cela ne veut pas dire que la littérature ne peut pas exprimer la même émotion mais d’avec d’autres moyens. C’est d’ailleurs très rassurant : cela prouve que le cinéma est un art.

  7. « cette scène ne peut pas être transposée en littérature, en tout cas, même très bien décrite, elle ne pourra jamais donner la même émotion que ce plan fixe interminable. Tu en conviendras. »
    Eh bien, comme tu t’en doutes, je n’en conviens pas. Chaque art a ses techniques et ses moyens pour susciter l’émotion et la littérature pas moins que le cinéma (heureusement, sinon comment aurait-on fait avant les frères Lumière ? ) mais on peut être plus ou moins sensible à la peinture, au cinéma, à la musique ou à la littérature.
    J’en veux pour preuve cet extrait de Flaubert que j’ai publié en juin de cette année sous le titre accrocheur de « Plus sensuel, tu meurs ! » :

    Le narrateur a quinze ans, l’extrait est autobiographique. 
Plus sensuel, plus évocateur des premiers émois d’un adolescent, tu meurs. 
Et pardon pour ce titre vulgaire, mais il fallait bien que j’accroche le lecteur.

    (…) Chaque matin j’allais la voir se baigner ; je la contemplais de loin sous l’eau, j’enviais la vague molle et paisible qui battait sur ses flancs et couvrait d’écume cette poitrine haletante, je voyais le contour de ses membres sous les vêtements mouillés qui la couvraient, je voyais son cœur battre, sa poitrine se gonfler ; je contemplais machinalement son pied se poser sur le sable, et mon regard restait fixé sur la trace de ses pas, et j’aurais pleuré presque en voyant le flot les effacer lentement.
Et puis, quand elle revenait et qu’elle passait près de moi, que j’entendais l’eau tomber de ses habits et le frôlement de sa marche, mon cœur battait avec violence ; je baissais les yeux, le sang me montait à la tête. J’étouffais. Je sentais ce corps de femme à moitié nu passer près de moi avec le parfum de la vague. Sourd et aveugle, j’aurais deviné sa présence, car il y avait en moi quelque chose d’intime et de doux qui se noyait en extase et en gracieuses pensées, quand elle passait ainsi.
 Je crois voir encore la place où j’étais fixé sur le rivage ; je vois les vagues accourir de toutes parts, se briser, s’étendre ; je vois la plage festonnée d’écume ; j’entends le bruit des voix confuses des baigneurs parlant entre eux, j’entends le bruit de ses pas, j’entends son haleine quand elle passait près de moi.
J’étais immobile de stupeur comme si la Vénus fût descendue de son piédestal et s’était mise à marcher. C’est que, pour la première fois alors, je sentais mon cœur, je sentais quelque chose de mystique, d’étrange comme un sens nouveau. J’étais baigné de sentiments infinis, tendres ; j’étais bercé d’images vaporeuses, vagues ; j’étais plus grand et plus fier tout à la fois.

    J’aimais.

    (…)

    Maintenant, essayons d’imaginer cette scène tournée par différents réalisateurs. On trouvera sans doute quelques différences entre le traitement de Jean Renoir, Sergio Leone et Claude Zidi.

  8. François Truffaut, « Chroniques d’Arts Spectacles 1954-1958 », Gallimard, 2019, 530 p.

    C’est plutôt ce livre-là qui est instructif, même si, à la fin de sa vie, Truffaut aurait dit :
    « Je me sens aujourd’hui solidaire de tous les gens qui font le même métier que moi. Leurs échecs m’attristent et je me réjouis de leurs succès. L’idéal serait que tous les films aient du succès… même ceux d’Audiard et de Delannoy ! »

    Ce que j’ai essayé de dire sur le cinéma et son originalité est très bien illustré dans le film, « La Jeune Fille à la Perle », qui est aussi un roman. A un moment reposent côte à côte sur la table, à quelques centimètres l’une de l’autre, la main de la servante et celle du peintre. C’est un « gros plan » fixe qui, dans mon souvenir, durait une éternité pendant laquelle on se demande si oui ou non Vermeer va prendre la main de la servante dans la sienne. Cette scène m’avait bouleversé. J’ai donc lu le livre en grande partie pour la retrouver ; eh bien, cette scène ne peut pas être transposée en littérature, en tout cas, même très bien décrite, elle ne pourra jamais donner la même émotion que ce plan fixe interminable. Tu en conviendras.
    En réalité la scène du film dure à peine 10 secondes, mais dans mon souvenir, elle dure, dure, dure une éternité …
    Autre précision, cette scène n’existe pas dans le roman.
    Lorenzo

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