Archives de catégorie : Thème imposé

La bulle

Il y a des moments où je me demande depuis combien de temps je suis là, immobile, coincée, littéralement comprimée à raison de dix-sept kilogrammes par centimètre carré avec des millions d’autres semblables pour former cette immense galette plate et ronde qui constitue mon univers.

Comment je suis arrivée là, j’en ai perdu le souvenir. Suis-je née là, m’y a-t-on amenée, je l’ignore. Peut-être ai-je toujours été là ? Peut-être y suis-je pour toujours ? Comment savoir ?
Comment savoir aussi pourquoi je suis là, pourquoi nous sommes toutes là, depuis une éternité, sans qu’il ne se passe rien, jamais ? A quoi sert-on ? Servira-t-on un jour ? Quel est le sens de tout ça ?

J’ai essayé de communiquer avec mes voisines d’à côté, de devant, de derrière, mais elles sont comme moi, exactement comme moi, elles ne savent rien, rien de rien.
Comme j’ai la chance d’être à la surface, j’ai eu des occasions Continuer la lecture de La bulle

Figures de style

Voici quelques figures de style, fort utiles pour briller en société. On en trouvera la définition, l’effet recherché ainsi qu’un exemple d’application pris au hasard.

La métonymie Pour désigner un être ou un objet, on utilise le nom d’un autre qui lui est proche : son contenant, sa cause, son origine, son instrument, son symbole, etc. Permet une désignation plus imagée et une concentration de l’énoncé. Effet de condensé. La France en avait plein les urnes.
La synecdoque Pour désigner un être ou un objet, on utilise un mot qui désigne une partie de cet être ou de cet objet, ou la matière dont il est fait. Donne une vision fragmentée de la réalité ; frappe, surprend par sa forme concentrée. Et François s’endormit sous les ors de la République.
La périphrase Pour désigner un être ou un objet, on utilise une expression qui remplace le mot précis. Permet d’éviter une répétition et crée une attente, un mystère ; permet de souligner une qualité. Et l’ancien Secrétaire du Parti Socialiste prit la décision de ne pas en prendre.
L’antiphrase On exprime le contraire de ce que l’on pense, tout en ne laissant pas de doute sur ce que l’on veut faire comprendre. Figure de l’ironie, l’antiphrase crée une complicité avec le destinataire et permet la critique moqueuse. Ce Pingouin, quelle élégance, quelle prestance, quelle classe !
L’hypallage On attribue à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres. Crée une discordance, un mystère, une surprise. Rapproche des réalités distinctes. Il avait l’allure d’un Pingouin de Corrèze et les troubles pensées volatiles et glaciales d’un Rastignac de Banquise.
L’euphémisme On emploie à la place d’un mot un autre mot ou une expression pour atténuer son sens. Dissimule une idée brutale, désagréable ou jugée inconvenante. Le quinquennat de Hollande fût un contretemps regrettable.
La litote On dit le moins pour suggérer le plus. On utilise une tournure moins directe, souvent négative. Permet d’exprimer implicitement plus qu’il n’est dit ; renforce l’idée Je n’adore pas l’humour du Président.
L’anaphore On répète un mot ou une expression en début de vers, de phrase, de membre de phrase ou de paragraphe. Rythme le texte, souligne un mot, met l’accent sur un idée pour exprimer une obsession, ou pour convaincre. Moi président, j’aurais au moins laissé ce mot dans toutes les mémoires : anaphore
Le parallélisme On utilise une construction syntaxique semblable pour deux énoncés. Met en évidence une similitude ou une opposition. Rythme la phrase. Tandis qu’il y a cinq siècles, Monsieur de Commynes  écoutait avec respect Louis XI raconter ses manœuvres et ses victoires, hier encore, Messieurs Davet et Lhomme du Monde écoutaient avec malice François Hollande raconter ses états d’âme et ses vantardises. 
La gradation On fait se succéder des termes d’intensité croissante ou décroissante. Produit un effet de grossissement ; peut tendre à l’hyperbole. C’est un niais, c’est un âne, c’est un pitre !

Que dis-je, c’est un pitre ? C’est un gros ridicule !

L’énumération Succession de termes ou de groupes de mots Donne une impression de quantité ou de grandeur. Amplifie la réalité. Adieu fanfares, honneurs, amis, maitresses, personne n’écoutera plus mes blagounettes, mes confidences, mes rodomontades, car je rentre à Tulle.
L’allitération On répète de façon insistante un son . La répétition d’un son vocalique (voyelle) est en général appelé assonance. Donne un effet musical, rythme le texte, peut suggérer un bruit, une émotion. La guerre de succession socialiste, c’est pour ce soir, ça c’est sûr.
L’hyperbole On emploie de termes trop forts, exagérés et des procédés divers de renforcement (superlatifs, comparaisons, etc.) Grossit la réalité, la met en valeur. Peut-être familière ou épique. Peut servir à la parodie. La disparition du Parti Socialiste est un cataclysme sismique.

 

L’antithèse On emploie des termes contraires à l’intérieur d’un même énoncé. Souligne un conflit d’idées ou de sentiments, crée un contraste. Hollande était un faible, c’est en cela qu’il était fort.
L’oxymore Deux termes évoquant des réalités contradictoires sont unis dans un même groupe de mots. Exprime ce qui est inconcevable, crée une image poétique nouvelle. Surprend. Le parler vrai du Président : un vrai mensonge ? une fausse vérité ?
Le chiasme Dans deux énoncés symétriques, le deuxième reprend les termes du premier en les inversant. (double parallélisme croisé) Souvent lié à l’antithèse, attire l’attention sur des oppositions. Ou souligne l’union de deux réalités. Que l’espoir était grand !

Que l’homme était petit !

La comparaison Rapprochement de deux réalités au moyen d’un terme de comparaison. Le comparé et le comparant possèdent au moins une caractéristique commune qui justifie la comparaison. souVolonté de rapprocher deux éléments appartenant à des domaines différents. Création d’images insolites, apparition de rapports originaux et souvent cachés. Il était con comme un balais.
La métaphore Idem, mais sans terme de comparaison. Si plusieurs métaphores sur le même thème se succèdent, on l’appelle métaphore filée. Idem mais forme plus condensée ; parfois énigmatique ; peut devenir figée (cliché) Arrivé comme un courant d’air  par la porte de service, reparti comme un pet sur une toile cirée.
La personnification On prête à un objet, à un être inanimé ou à un animal des comportements ou des sentiments humains. On peut aussi faire d’une abstraction un personnage. Idem (c’est un cas particulier de métaphore)  Tandis que Matignon dormait sous Ayrault, l’Elysée rêvait sous Gayet.
L’allégorie Représentation concrète d’une abstraction sous différents aspects, dans une mise en scène vivante. Figure proche de la personnification, avec une dimension symbolique. Crée des images, rend plus accessibles des notions abstraites. A une force de persuasion. Oh, mon beau pédalo,

Oh, mon joli scooter,

Toi, mon char de l’Etat,

Mon vélo pour Cythère.

L’ellipse On supprime des termes qui seraient nécessaires pour que la construction soit complète. Enoncé dense, car chargé de tout ce que le lecteur peut imaginer. Rapidité (style télégraphique, petites annonces, style  » bébé « , etc.) Parti socialiste décédé. Merci François. Regrette ne pouvoir assister à enterrement.

Signé : François.

L’anacoluthe Rupture de construction syntaxique. Défaut fréquent du langage parlé. Peut être voulue et expressive. Effet de surprise, de rupture. La femme de ménage, si elle eut été un homme, le flou de Corrèze n’aurait été président.
Le zeugma On réunit plusieurs groupes de mots au moyen d’un élément qu’ils ont en commun et qu’on ne répètera pas. On peut unir un terme abstrait et un terme concret, de façon inhabituelle. Rapidité, condensation de l’énoncé. Effet de surprise si alliance inhabituelle : peut renouveler une expression stéréotypée. Des écologistes, il en prit dans son gouvernement et en plein dans la gueule.

 

Une photo surprise

Aujourd’hui, c’est Dimanche et c’est mon anniversaire. Dans deux heures, j’aurai douze ans. Dans la salle à manger, la table est mise. Tout à l’heure, je serai le héros de la fête, mais pour le moment, je dois placer sur les assiettes les petits cartons qui indiqueront à chacun sa place.
Nous serons douze : mes parents, ma sœur, ma grand-mère, mon oncle Paul, sa femme, ma tante Simone et son mari, mon ami Jean-Claude et ses parents. Onze personnes, rien que pour moi, et moi. Douze. Je ne peux m’empêcher de penser que si mon oncle Pierre avait été là, il aurait fallu trouvé une solution, car treize à table, pour Maman, ce n’était tout simplement pas possible.

J’aurai bien voulu qu’il soit là, Pierre. Mais ce n’était pas possible. Je me souviens bien de lui. Malgré Continuer la lecture de Une photo surprise

L’étranger

Je décroche le gros téléphone noir. La voix me dit de ne pas bouger, de rester à l’hôtel ce matin. La voix est inquiète. Pas affolée, mais inquiète. Je la connais, cette voix. C’est celle du responsable du bureau. Il est venu m’accueillir hier soir à l’aéroport. Il parle très bien le français, avec application, mais il a un fort accent, presque caricatural. On dirait Michel Leeb quand il raconte une blague africaine. Il me dit qu’il se passe des choses. Il ne sait pas vraiment quoi, mais il se passe des choses. Il me dit de ne pas bouger, qu’il me rappellera. Je raccroche en finissant de m’habiller. J’ai choisi un costume ultra léger, beige clair, chemise bleu ciel à manches courtes. C’est mon premier jour ici. Je dois faire bonne impression. Immobile sous le ventilateur qui tourne au plafond, je finis de nouer ma cravate club rayée rouge et bleue, puis je traverse la chambre en réfléchissant. Que se passe-t-il ? Pourquoi ne pas bouger ? Y aurait-il du danger ?

La radio de l’hôtel enchaine les morceaux de musique classique. J’allume la télévision : un chien saute à travers la fenêtre d’une cabane en feu. Je reconnais Rintintin. Je vais jusqu’à la fenêtre. Je regarde dehors. La Place de la Révolution s’étend devant moi, bien propre, presque déserte. Deux hommes en bermuda bleu marine arrosent le bitume avec de longs tuyaux jaunes qui les relient à un camion citerne. Ils ne portent pas de chemise. Les serveurs des cafés qui, le jour, occupent la centre de la place installent les tables, apportent les chaises, déplient les parasols. Les tables et les chaises sont toutes pareilles, mais pour les parasols, chaque établissement a sa couleur. La plus jolie, c’est la couleur crème, mais le noir est beau aussi. Deux blancs sont installés à une table sous un parasol noir et boivent un café.

C’est mon premier matin à Savrola et tout semble normal, complètement normal.

Je sors de ma chambre et sans prendre l’ascenseur, je descends les deux étages. Le hall est tranquille. Le concierge me salue et me dit une aimable banalité en anglais. Tout est normal.

En sortant de l’hôtel, je prends le Boulevard du Président  N’Gan-Yonn sur ma droite, puis la première rue à droite. Le bureau n’est pas loin. J’ai repéré les lieux hier. J’y serai dans un quart d’heure. Il est sept heures vingt-cinq. Les gens que je croise marchent vite. Un embouteillage commence à se former quelque part. Des klaxons s’énervent. Je vais atteindre l’Avenue d’Okabangui où je prendrai à gauche.

Des détonations se font entendre. Je me dis que ce doit être des pétards. Je continue à marcher. Nouvelles détonations. Je pense : « …des pétards à cette heure … peu probable … peut-être des pots d’échappement… » Non, leur rythme ressemble à celui d’une mitraillette. D’ailleurs, d’autres mitraillettes viennent de se faire entendre. Je me suis arrêté de marcher à l’angle du Boulevard et je regarde devant moi, derrière moi, à droite, à gauche, au-dessus de moi. Rien ne me permet de savoir d’où viennent ces détonations. Je regarde les passants. Ils font comme moi, regardent en l’air, enfoncent leur cou dans leurs épaules et accélèrent le pas. La rue se vide. Je pense qu’il vaut mieux faire demi-tour. L’hôtel est encore tout près.

Il n’y a personne dans le hall. Je me penche par-dessus le comptoir pour prendre la clé de ma chambre. L’ascenseur ne fonctionne pas. Le plateau du petit déjeuner a été débarrassé, mais le lit n’est pas fait.  La radio reste silencieuse et le ventilateur est immobile. Ma fenêtre est restée ouverte. Je regarde la place. Elle est presque vide. Deux ou trois voitures, quelques passants pressés la traversent. Je vais sur le balcon. Il commence à faire chaud. Les arroseurs sont partis.

Un bruit monte et emplit l’air. Je le reconnais. C’est celui d’un hélicoptère. Je le vois maintenant. C’est un Tigre. Il vient s’immobiliser au-dessus du centre de la place. Des volutes de poussières s’élèvent. Deux parasols noirs renversés traversent la place en virevoltant comme des danseuses. Ils viennent se bloquer contre une façade, agités de soubresauts. D’un seul coup, comme un frelon qui se décide, l’hélicoptère pique un peu du nez et part à toute vitesse pour disparaître derrière les toits sur ma droite.

Le silence règne maintenant sur la Place de la Révolution. De temps en temps, des rafales de mitrailleuses et des coups de feu isolés se font entendre dans le lointain. Entre les détonations, c’est le silence. Il n’y a plus de passants, plus de voitures, plus rien. Je suis debout sur le balcon, les bras ballants. J’attends je ne sais pas quoi.

Un nouveau bruit est en train de naître et de grandir. Je n’arrive pas à le reconnaître ni à comprendre d’où il vient. On dirait le rideau métallique d’un magasin que quelqu’un remonterait sans fin.

Le bruit se précise et devient évident, je le reconnais : c’est celui des chenilles d’un char d’assaut. J’ai entendu des chars une fois quand je faisais mon service militaire à Biville. D’ailleurs, maintenant, dans le vacarme, on entend le bruit du gros moteur. Trois secondes plus tard, le nez de l’engin apparait. Le char entre sur la place. Il est de couleur crème, comme les parasols. Son canon est à l’horizontal. Il s’arrête en plein milieu de la Place de la Révolution. Il pivote sur lui-même et renverse deux fauteuils métalliques. Ses chenilles marquent le bitume de traces noires et luisantes. Il lève lentement son canon et s’immobilise. Son moteur tourne au ralenti. Je me penche en avant et je pose mes mains sur la rambarde de béton du balcon. Fasciné par le spectacle, je n’ai pas vu arriver un deuxième puis un troisième char. Ils viennent se placer à côté du premier char en écrasant quelques tables, puis ils s’immobilisent et lèvent lentement leur canon.

Je regarde les trois chars, leurs canons dressés à quarante-cinq degrés vers le ciel. Aucun soldat n’est visible.

Une première tourelle se met à tourner lentement sur elle-même avec un bruit de mécanique bien huilée. La deuxième tourne à son tour, puis la troisième. A présent, les canons sont pointés en éventail dans trois directions différentes. Je remarque qu’aucun n’est orienté vers mon balcon.

Plus rien ne bouge, les chars, les arbres, moi sur mon balcon. Je vois la fumée bleue qui sort des trois pots d’échappement verticaux. Je sens l’odeur du gas-oil qui monte avec la chaleur. J’entends le bruit calme du ralenti de leurs gros moteurs. A l’angle de la place, le feu du Boulevard N’Gan-Yonn passe au rouge, au vert, à l’orange, au rouge, au vert…

Et puis le premier char tire. Je sursaute violemment et, sans comprendre comment, je retombe à genoux sur le balcon. Le deuxième char tire à son tour et je ressens comme un coup dans le sternum. Le troisième char tire et mes oreilles sifflent. Le premier char tire à nouveau, puis le second, puis le troisième. À chaque obus, une courte flamme éclaire la place d’une lueur orange. L’hélicoptère est revenu. Il vole en stationnaire au-dessus des chars. Les arbres se tordent dans le souffle de ses pales. Le rythme des coups de canon s’accélère. Maintenant c’est presque un roulement continu derrière lequel se distingue le wouche-wouche-wouche de l’hélicoptère.

C’est une musique superbe, un spectacle grandiose. Tout mon corps vibre. J’ai la chair de poule.

Et puis les canons se taisent brusquement.

L’hélicoptère s’éloigne et disparaît.

C’est fini.

J’ai envie d’applaudir.

 

Haiku de mon cru

Si vous savez déjà ce que c’est qu’un haiku, je vous suggère d’aller lire autre chose. Sinon, voici :

Le haïku est une forme japonaise de poésie permettant de noter les émotions, le moment qui passe et qui émerveille ou qui étonne. C’est une forme très concise, dix-sept syllabes en trois vers (5 – 7 – 5). Les vers sont libres et le nombre de syllabes n’est pas toujours respecté. Voici quelques exemples de haikus français ou traduits du japonais :

Cri d’oie sauvage
Blanches dans les rochers
Les vagues de la nuit.

Commencement de l’hiver –
Le soleil léger du matin
Naît de l’arrosoir.

Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu’elle est près de sa fin.

Avec sa petite faucille
Comment pourra-t-elle
Faucher tout le champ ?

Et voici maintenant quelques haïkus de mon cru :

Boubous enfermés
Dans un triangle de barbelés
Prison africaine

Odeur de poussière
Panneau sur le pare-brise
Mille deux cents dollars

Quand la porte s’ouvre
On entend Errol Gardner
Dehors, c’est la nuit

Feu qui tord le papier
Bois qui gémit et craque
Fumée qui roule

La madeleine fond
Dans ma tasse en porcelaine
Grand-mère apparait

L’automobile roule
Les feuilles la poursuivent
C’est un jour de chasse

(C’est chiant, non ?)

Ah ! Les belles boutiques !

Ah ! Les belles bouti-ques, bouti-ques, bouti-ques
(à chanter sur l’air de Ah ! Les belles bacchan-tes, bacchan-tes, bacchan-tes, extraites du film du même nom et de Robert Déry)

Quand on s’ennuie, quand on ne sait plus quoi écrire, quand on vieillit, on fait des listes. Tout le monde fait ça, tôt ou tard. On les commence ( j’aime, j’aime pas ; je me souviens ; choses à faire, à défaire ou à refaire ; inventaire des personnes à gifler…), on les abandonne, on les reprend, on les décline… Les psychologues amateurs de calembours diront sans doute que des listes que l’on décline, ce sont des signes que l’on décline.

(Entre nous, est-ce que vous avez remarqué comme les psychiatres, les psychologues et autres Diafoirus de l’âme individuelle ou collective sont amateurs de calembours, de jeux de mots, d’approximations phonétiques ? Moi, je l’ai remarqué. Ils les trouvent révélateurs des tensions, des frustrations, des psychoses enfouies. Je suis certain que le double sens du verbe décliner utilisé plus haut va les ravir et leur donner du grain à moudre pour trois jours. Victor Hugo avait dit : « le calembour est la fiente de l’esprit qui vole« . Pour moi, je préfère ce que disait son cocher : « les calembours sont les pets de l’esprit » car il faut reconnaitre que lâcher une flatulence peut être parfois d’un grand soulagement. Fiente ou pets de l’esprit, syndromes de traumatismes profonds ou signes de sérénité et de bienveillance envers l’humanité, dyslexie légère ou malformation infantile, je vous laisse juges.)

Bon, en tout cas, moi, j’en ai fait des listes. Je me souviens que j’ai commencé par des « Je me souviens« . Un jour, j’avais vu Sami Frey Continuer la lecture de Ah ! Les belles boutiques !

Papy dans l’métro

Allez, c’est décidé ! Je prends le RER !
Cité Universitaire
C’est quand même bien pratique, je me dis, le Métro.
Denfert-Rochereau
J’ai même trouvé un siège, déplié mon journal,
Port-Royal
Mais je l’ai vue monter : mon souffle s’est fait court
Luxembourg
On aurait dit un ange qu’aurait perdu ses ailes
Saint-Michel
Au milieu des humains, perdu, l’ange pleurait
Châtelet 
A la station suivante, elle pleurait encore
Gare du Nord 
Elle ne me voyait pas dans sa désespérance
Stade de France
Je l’aurais bien aidée dans sa terrible épreuve
La Courneuve
Mais il était trop court, bien trop court ce trajet
Le Bourget
Pour ôter le chagrin de son cœur aux abois
Aulnay-sous-bois
Et puis j’avais déjà dépassé ma station
Parc des expositions 
J’allais m’faire engueuler, c’est sûr, par Marie-Paule
Charles de Gaulle

Dialogue avec Jules César

—Vous, là-bas !

La voix est impérieuse. La salle reste silencieuse.

—Eh ! Vous, là-bas ! Le type vautré, là, avec un drôle de manteau !

Je regarde autour de moi. Dans la faible clarté que diffuse l’écran de cinéma, je ne vois personne qui puisse répondre à ce signalement.

—Dites-donc, vous ! Vous voulez que je descende ?

Cette fois-ci, c’est certain, c’est à moi qu’il parle. Je me redresse un peu dans mon fauteuil.

—Qui, moi ?

—Ah, enfin ! Oui, vous ! Vous allez laisser faire ça ?

***

Quand j’étais entré tout à l’heure au Champollion, Continuer la lecture de Dialogue avec Jules César

​La dernière lettre de César

temps de lecture : 5 minutes

Vous avez sans doute lu ici il y a quelques jours le magnifique texte de Plutarque racontant la mort de César, assassiné dans le Théâtre de Pompée par une bande de sénateurs le 15 mars de l’année 44 avant J.C.
Voici la traduction de la très surprenante lettre qui a été retrouvée dans un coffret miraculeusement intact lors du percement d’une nouvelle galerie de métro sous la colline du Mont Palatin. C’est la lettre qu’écrivait César à son fils adoptif, Octave, celui qui deviendra bientôt Auguste, le vrai fondateur de l’Empire Romain.

Ave, Octave,
A toi, mon fils, salut.

Celle-ci est la dernière lettre Continuer la lecture de ​La dernière lettre de César

Théorie mathématique de la bêtise

Georges Brassens a dit que le temps ne faisait rien à l’affaire et que quand on était con, on était con. Mais, sauf le respect que je dois au bonhomme et l’affection que je lui porte, je dois dire que Brassens se trompait car, en matière de connerie, le temps est un facteur important. Non pas que le con devienne plus con avec l’âge, mais le con d’aujourd’hui l’est davantage que le con d’hier. En effet, récemment, grâce au progrès, la connerie a avancé à pas de géant. Rappelons-nous que le Web est devenu d’usage public à partir des années 90 et que Facebook a été créée en 2004. L’ami Georges, mort en 1981, bien trop tôt, ne pouvait bien sûr pas tenir compte de ces extraordinaires facteurs de progrès.
Voyons ce que Milan Kundera disait du sujet. (Comme il parle de Flaubert, Kundera ne dit pas « connerie« . Il dit « bêtise« , mais c’est pareil.)

« Le 19ème  siècle à inventé la locomotive. Flaubert a découvert la bêtise. J’ose dire que c’est là la plus grande découverte d’un siècle si fier de sa raison scientifique, car la bêtise ne s’efface pas devant la science, la technique, le progrès, la modernité, au contraire, avec le progrès, la bêtise progresse elle aussi. Ainsi la bêtise moderne signifie non pas l’ignorance mais la non-pensée des idées reçues. La découverte flaubertienne est pour l’avenir du monde plus importante que les idées de Marx ou Freud, car on peut imaginer l’avenir sans lutte des classes ou sans psychanalyse mais pas sans la montée irrésistible des idées reçues. »    (Milan Kundera – L’Art du Roman – 1986)

« Avec le progrès, la bêtise progresse elle aussi… » Remarquable sentence, non ? Et encore, l’auteur de l’Insoutenable Légèreté de l’Être, lui non plus, ne connaissait pas Internet. Pourtant, malgré ce handicap, ses travaux ont permis  d’établir les deux théorèmes essentiels suivants, qui sont aujourd’hui à la base de la plupart des théories modernes de la communication :

1er théorème de Kundera
Toutes choses égales par ailleurs, le crétin d’aujourd’hui est plus bête que celui d’hier.

2ème théorème de Kundera
A un instant donné et dans les conditions normales de température et de pression, la bêtise est strictement égale à la somme des idées reçues.

À partir de ces deux théorèmes, certains chercheurs, disciples de Kundera, prétendent avoir démontré le corollaire suivant :

Corollaire de Kundera
L’ensemble des idées reçues est inclus dans l’ensemble des commentaires publiés sur Facebook.

Une école de chercheurs dissidente regarde cette inclusion comme trop limitative. Elle considère qu’une partie des idées reçues échappe au sous-ensemble Facebook et peut se retrouver dans d’autres ensembles ou sous-ensembles dénommés « supports médiatiques et/ou vernaculaires ». La presse, les émissions de débats télévisés et les comptoirs des cafés et tabacs de l’hexagone sont actuellement examinés par les membres de cette école. Leur champ de recherche est infini et prometteur.
Quels que soient les résultats que ces chercheurs obtiendront au cours des années à venir, on peut dès aujourd’hui réaffirmer l’axiome de Brassens :

Axiome de Brassens
Quand on est con, on est con

ceci à la condition d’y ajouter le codicille suivant :

Codicille de Brassens
mais la probabilité de le devenir davantage est de 99,97%