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Critique aisée 94
L’hiver, des singes égarés…
Est-ce que je vous ai déjà dit que j’aime les incipit, vous savez, ces premiers mots que l’auteur a mis en ouverture de son roman? Ils sont importants, ces mots. Importants pour l’auteur, car souvent, c’est eux qu’il a réellement écrits en premier, ceux qui l’ont lancé dans l’aventure, ceux qui ont imprimé le style, le rythme qu’il va s’efforcer de suivre pendant des nuits et des jours pour écrire les dizaines et les dizaines de milliers de mots qu’il veut extraire de sa tête. Mais ils sont encore plus importants pour le lecteur. L’incipit est une porte et selon qu’elle sera verrouillée, et bardée de fer, ou peinte en bleu et enluminée, ou entrouverte et mystérieuse, le lecteur se sentira averti de ce qui l’attend s’il en franchit le seuil.
Bien sûr, le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » du petit Marcel ne peut à lui tout seul annoncer l’ampleur du plus grand roman du XXème siècle, mais au moins, le lecteur comprend qu’il se lance dans un roman de l’intime.
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que le « Il était étendu à plat ventre sur les aiguilles de pin, le menton sur ses bras croisés et, très haut au-dessus de sa tête, le vent soufflait sur la cime des arbres » du grand Ernest va vous plonger dans l’aventure virile dans le milieu plutôt montagneux de « Pour qui sonne le glas«
Le « Marley était mort, pour commencer. » de Dickens ouvre son Conte de Noël de Dickens et on sent bien dans ces premiers mots, avec l’aide il est vrai des deux ou trois courtes phrases qui suivent, que Marley ne va pas rester mort très longtemps et qu’on va entrer dans le fantastique.
Le plus parlant reste sans doute celui de l’énorme Gustave, le fameux « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. » de Salammbô. Avec lui, le décor, l’époque, le souffle, le rythme sont plantés, vous êtes prévenus.
Mais ces incipit là, vous les connaissiez, ne serait-ce que pour avoir lu le JdC de temps en temps. Alors, laissez-moi vous donner aujourd’hui celui du roman le plus connu d’un auteur, Antoine Blondin, un peu moins monumental que les quatre précédents, mais que, moi, j’aime particulièrement, peut-être même plus que Jacques Perret :
« Une nuit sur deux, Quentin Albert descendait le Yang-tsé-kiang dans son lit-bateau : trois mille kilomètres jusqu’à l’estuaire, vingt-six jours de rivière quand on ne rencontrait pas les pirates, double ration d’alcool de riz si l’équipage indigène négligeait de se mutiner. Autant dire qu’il n’y avait pas de temps à perdre. »
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