Le lac de Whistle Stop

Morceau choisi
 Vous allez lire une courte histoire extraite du roman de Fannie Flag dont on a tiré le film « Beignets de Tomates Vertes (Fried Green Tomatoes) ». Je ne vous cacherai pas qu’avec « Potins de femmes (Steel Magolias) », « Frankie and Johnny », « Vacances Romaines », « Sept Ans de Réflexion », « La Garçonnière (The apartment) », Beignets de Tomates Vertes est la comédie sentimentale américaine que je préfère. 
Nous sommes en Alabama et Idgie, l’une des deux héroïnes, a pour habitude de raconter des histoires, des histoires du Sud. Voici, selon moi, la plus belle :

—Vous voyez ce grand champ là-devant ?
—Oui, m’dame.
-—Il y a des années, c’était le plus beau lac de Whistle Stop… En été on venait s’y baigner et y pêcher… On pouvait faire des promenades si on voulait. (Elle secoua la tête avec tristesse.) C’est sûr qu’il nous manque.
Smokey contemplait le champ d’un air perplexe.
—Qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est asséché ?
Elle lui offrit une cigarette, lui donna du feu.
—Non, c’est pire que ça. C’était un mois de novembre, et un vol de canards s’est abattu en plein milieu du lac. Oh, ils étaient nombreux, une bonne cinquantaine, et alors qu’ils barbotaient tranquillement cet après-midi-là, il s’est produit un drôle de truc. La température est tombée si vite, mais si vite, que tout le lac a gelé… une masse de glace dure comme la pierre… en quelques secondes. Oui, juste le temps de compter jusqu’à trois…
Smokey la regarda, éberlué.
—C’est vrai ?
—Et comment!
—Ça les a tués raide les canards, alors.
—Non, pourquoi ? répliqua Idgie. Ils se sont envolés et ont emporté le lac avec eux. Et de puis ce jour-là, ce lac doit se trouver quelque part en Géorgie…
Smokey se tourna vers elle et, comprenant qu’elle l’avait bien fait marcher, il éclata si brusquement de rire qu’il manqua s’étrangler, et Idgie dut lui taper dans le dos.

NB 1 : Ne manquez ce film sous aucun prétexte.
NB 2 : Cette galéjade me fait penser à celles qu’inventait Goscinny dans l’un des albums de Lucky Luke. Il les faisait dire par le pilote du Daisy Bell, bateau à roue qui remontait le Mississippi, dont les brutales variations de niveau sont légendaires. Ned raconte :
—Cette année là, le niveau du fleuve est tombé si vite que les poissons se sont fracassé le crâne sur le fond.
—Cette année là, le niveau du fleuve était tombé si bas qu’on ne naviguait que le matin, grâce à la rosée.
NB 3 : Ne manquez pas les Lucky Luke du temps de Goscinny.

6 réflexions sur « Le lac de Whistle Stop »

  1. Eh oui… le français du Québec remonte au temps où la France n’avait que des rois au Louvre, à Saint Germain en Laye (en attendant de devenir Germanoprates par l’Autrichienne à Versailles)…

    des rois dont l’un des ancêtres a arrêté les Sarrasins à Poitiers mais ne les a point boutés hors de France… Johan… a fait le Brexit! Quelle erreur!

    ce qui fait que beaucoup de Québécois pure laine ont, comme les Français de longue souche, beaucoup de sang arabe dans les veines! Quelle chance! Ils auraient pu n’avoir pas de veine!

    Donc, à l’origine, c’est peut être un chameau qui s’est pris une bosse dans la glace de cette histoire!

    Ceci dit, c’est très bon le filet de dromadaire! Les meilleurs sont ceux qui vivent sur la dune du Pila.

  2. Cette histoire québécoise me semble tirée d’un conte français et moyenâgeux, le Roman de Renart, où Ysengrin le loup était la victime d’une blague de Renart.

  3. Sans nier l’intérêt incontestable du style…

    mes expériences du climat tempéré (français des plaines) où les variations de température sont généralement lentes et de faible amplitude et du climat continental nord-américain où les températures font des sauts quantiques en peu de temps, peut aussi expliquer l’intérêt que l’on peut porter aux façons poétiques et amusantes de les décrire.

    Les différences de contexte des ressentis du lecteur et de l’auteur affectent l’appréciation de l’œuvre du dernier…

    Au Québec, on attrape les renards à l’automne lorsqu’ils traversent les rivières, leur queue en panache se prend dans la glace en formation instantanée, on leur offre alors un objet à mordre et il n’y a plus qu’à tirer fort, ils nous viennent tout dépouillés!

  4. Bonjour François,
    pourquoi mets tu en doute Vacances romaines ? C’est un film absolument charmant de William Wyler avec Dalton Trumbo pour scénariste. A ce propos je te recommande le film du même nom : « Dalton Trumbo » Scénariste hollywoodien communiste à succès, mais blacklisté par McCarthy. Il a même fait un an de prison et obtenu 3 oscars sous le nom de ceux à qui il avait prêté sa plume : Vacances romaines, Spartakus, Exodus.

  5. Ah, « Fried green tomatoes at the Whistle Stop Café » , un de mes livres favoris! Et le film, quelle adaptation! Visuellement et cinématographiquement très belle, poignante, fidèle à l’oeuvre.
    J’ai toujours eu une tendresse pour ce livre, découvert il y a plus de vingt ans. Enseignant alors en lycée à Cergy, j’avais tiré un extrait du livre de cours de mes Terminales et leur avais fait étudier. J’ai tout de suite été sous le charme de cette oeuvre… Et eux aussi.
    Du coup, je suis allée me l’acheter, l’ai lu, puis en ai fait un résumé que j’ai fait étudier aux élèves, qui avaient demandé à connaître le reste. Chose que j’ai d’ailleurs refait pour un livre de Jack London la même année. Décidément, ce livre de cours était intéressant, et les élèves stimulants. J’ai découvert cette année-là deux oeuvres magistrales.
    Merci de nous avoir fait lire cet extrait.

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