La Lune

Morceau choisi

La Lune remonte à la plus haute Antiquité. Elle change de forme tous les jours. De couleur aussi. Elle est tantôt rouge, tantôt verdâtre, tantôt énorme et orangée. Parfois elle a l’air d’un coquillage. Un coquillage nacré, tout usé sur les bords. Il y a deux ou trois jours, elle était transparente. On pouvait voir le ciel à travers. Tantôt elle est grosse comme un petit pois, tantôt comme un ballon de football, tantôt comme une pièce de cinquante centimes. Certains matins d’épais brouillard on prend le soleil pour la lune. C’est ce qui fait dire à ma femme de ménage : « C’est surnaturel, la Nature ! » (Elle n’aime vraiment, à part la Lune, que l’opéra et les temples romains, ce qu’elle doit à des origines corses, qui lui donnent des goûts italiens.) D’autres fois, la lune est immense, blanche et glacée, elle éclaire tout comme en plein jour et les ombres sont noirs comme de l’encre de Chine. C’est ce qu’on appelle le clair de lune. Il a été chanté par une foule de poète, français, belges, latins, ou grec, tels que Chyme l’Environnaire, Porcypeute le Microchire et Hermogène le Guttural. Virgile a remarqué le silence de la Lune, couleur de lait, d’argent et même de vin du Rhin. Elle éclaire la France, l’Angleterre, le Portugal, la Suisse, l’Italie, la Bosnie et l’Herzégovine. Mais, en Orient, en Syrie, en Égypte, elle a la forme d’un croissant. Elle est mince comme le blanc de l’ongle d’une sultane.

Alexandre Vialatte – Chronique des grands micmacs – extrait

Bientôt publié

24 Mar, 07:47 Le Cujas (47)
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