Conversation Sélecte

Couleur café 15
Le Sélect,Boulevard du Montparnasse

Le Sélect est un bel endroit mais il a peu d’histoire. Sur ce plan, il ne peut pas lutter avec La Coupole (mais la Coupole n’est plus la Coupole) ou Le Dôme (sans charme, mais gastronomique). Le Sélect est un tout petit peu mieux placé que La Palette qui, certes, a eu l’honneur de l’une de mes rubriques (« Les hommes de la Palette« ) mais qui aujourd’hui a disparu. La Closerie des Lilas demeure à l’écart de ce concours, tant sur le plan historique que géographique.

Le Sélect se trouve à l’angle du Boulevard du Montparnasse et de la rue Vavin. Contrairement à ses voisins, il n’a jamais vraiment cherché par le passé à être un restaurant ou même une simple brasserie. Non, jusqu’à il y a peu, c’était essentiellement un café, bien placé, agréable, avec sa terrasse ensoleillée et sa salle sombre et profonde. On pouvait, si on y tenait vraiment, y prendre une salade ou une omelette, mais on y commandait surtout des cafés ou des bières.

Ces dernières années, les choses ont un peu changé pour le Sélect. Tout d’abord, son horizon: le bâtiment d’en face, celui qui abrite La Coupole, s’est vu rajouter cinq ou six étages d’un immeuble peu élégant mais sans doute de beaucoup de rapport. La nouvelle construction en a profité pour englober l’incroyable terrain vague dans lequel messieurs Fraux, Lafon et Cie avaient stocké pendant des décennies les réserves de la Coupole derrière des palissades de chantier couvertes d’affiches. Avec l’arrivée du Groupe Flo, la Coupole a perdu peu à peu son âme, son chateaubriand et ma clientèle.

Quelques années plus tard, c’est l’aspect de tout le quartier qui a radicalement changé avec le tracé de cet axe pour travailleurs en autobus et oisifs à bicyclettes qui va du pont d’Austerlitz à la place de Rennes (certains modernistes disent place du 18 juin). Avec sa volonté de ségrégation des bus et des vélos d’un côté et du reste des mortels de l’autre, le maire de Paris a transformé l’aspect de ces boulevards autrefois agréables, avec leurs larges trottoirs et leur marronniers , en un prospekt d’allure soviétique, avec sa multitude de feux rouges et de panneaux très directifs pour expliquer à des gens qui n’y comprennent toujours rien un schéma de circulation hermétique et dangereux. (Pour un piéton moyennement constitué, traverser l’un de ces boulevards présente un tel risque que, s’il est né d’un côté, il mourra probablement du même.)

La création de ce fleuve trop large aux courants contraires et aux tourbillons funestes -les habitués nomment les carrefours des Gobelins et de Port-Royal les « Charybde et Scylla du 5ème »- a réduit considérablement les échanges entre les deux rives du boulevard du Montparnasse et plus particulièrement entre leurs cafés et brasseries. Aujourd’hui, vous devez vous déclarer du camp du 6ème ou de celui du 14ème, du soleil ou de l’ombre, du Nord ou du Sud, Coupole ou Sélect, UGC ou Gaumont.

Il y a peu, la direction du Sélect a décidé de développer une activité restaurant, en créant un carte simple mais bonne ( la viande y est correcte, mais plutôt chère) et sans trop transformer la salle. Pour cela, l’établissement a conservé mon affection.

Il fait beau. Le boulevard est calme. Le soleil de onze heures chauffe gentiment la terrasse. Il fait bon à l’abri du dais gris et vert et des deux parois latérales vitrées. À deux tables voisines de la mienne où je lis les chroniques de Vialatte, deux femmes sont assises face à face. Encore du bon côté de la soixantaine, elles sont belles et élégantes, plutôt du genre septième que seizième. Sur leur table, il y a deux verres de vin blanc et une soucoupe pleine de cacahouètes que, bien entendu, elles n’ont pas touchées. Le vin est d’une jolie couleur, or clair. Le bord de l’un des verres est très légèrement taché d’une trace de rouge à lèvres. Elles parlent. La table qui nous sépare est inoccupée, ce qui, malgré tout l’intérêt que je porte à Vialatte, me permet de tenter d’écouter ce qu’elles disent. Elles parlent des dernières vacances de Pâques que l’une d’elles a passé dans sa propriété du Gâtinais, où il a fait un temps splendide, merci. Je comprends qu’en l’absence de son mari, en voyage d’affaires à Dubaï, elle avait invité ses quatre petits enfants et trois de leur cousins, quatre garçons, trois filles âgés de 13 à 17 ans.

          -Mais dis-moi, ma chérie, tu étais seule pour manager tous ces ados? Ça n’a pas été trop difficile?

          -Oh, tu me connais, ma chérie, avec moi il faut que ça roule. Sinon, je ferme les écuries et la piscine !

          -Ah oui, évidemment, dans ces conditions…

Alors, avec Vialatte, j’ai pensé : et c’est ainsi qu’Allah est grand!

 

3 réflexions sur « Conversation Sélecte »

  1. Le Select date de la plus haute antiquité. C’est pas moi qui l’a dit.

  2. Très jolie promenade dans ce coin de Paris.
    Mon père, mais je suis sûre que tu le sais déjà, peste haut et fort contre ce terrible enchainement de panneaux, de ruptures de voies, de files mal définies, de changements intempestifs de voies (…) qui mènent de Rennes à Austerlitz.
    J’ai encore eu l’occasion d’être soumise à l’une de ses tirades à ce sujet en retournant à la gare. Il est vrai que conduire d’un bout à l’autre sans se tromper de file ni renverser un piéton relève de l’exploit!!

    Bonne année au JdC et à toute la famille C. , ainsi qu’aux lecteurs.

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