Les fausses morts de Coriolan du Vannage (1/2) (Couleur café n°34)

temps de lecture : 3 minutes 

Couleur café n°34

Les fausses morts de Coriolan du Vannage
première partie 

 Val Café
39 boulevard de Port Royal

C’est la première fois que je viens m’asseoir à la terrasse de ce café. À cette heure de la journée, elle est encore à l’ombre, mais dans une heure, les rayons du soleil couchant finiront par trouver l’enfilade du boulevard pour inonder la terrasse du Val Café.
C’est plutôt étrange que je n’aie jamais fréquenté le Val Café alors que j’ai presque toujours habité ce quartier. J’ai même passé les onze ou douze premières années de mon existence au numéro 20 de ce même boulevard, sur le trottoir d’en face, un peu plus bas, vers Les Gobelins. Mais à cette époque, je ne fréquentais pas encore les bistrots.
Le patron vient de m’apporter la bière pression que j’ai commandée. J’ai dû lui faire répéter trois fois la marque de la bière. Trois fois il me l’a dite en grommelot aveyronnais, ni aimable, ni hostile, juste auvergnat. J’ai fini par comprendre : Jupiler, une bière du Nord, blonde, dorée, légère, une Belge comme on les aime.

C’est la première fois que je viens au Val Café, mais cette femme, là-bas, ce n’est pas la première fois que je la vois. Blonde, elle aussi, taille moyenne, très légèrement enveloppée, petite quarantaine, chemisier blanc, blouson vert pomme et pantalon corsaire noir, une tenue de saison tout à fait adaptée à ce quartier des abords de l’hôpital Cochin qui reste pour quelques petites années encore mi-bourgeois, mi-populaire. À cet endroit et à cette heure, cette femme n’a rien de remarquable et ce n’est pas le fait qu’elle vienne d’emprunter le passage-piétons pour rejoindre mon côté du boulevard en tenant un gros chien jaune en laisse qui la fait sortir de sa banalité. En effet, par ici, les chiens accrochés à un être humain distrait ou excédé, c’est très courant et que le chien soit un labrador ne la distingue qu’à peine des autres attelages de cette sorte.
Pourtant, depuis quelques instants, cette femme et son chien sont l’objet de tous les regards. Les passants s’arrêtent pour l’observer, l’air intéressé ou compatissant selon le cas. Front contre la vitre et bouche ouverte, les passagers du 91 arrêté à la station sortent de leur torpeur pour la contempler. Les consommateurs à la terrasse du Val Café lèvent les yeux de leur téléphone et la regardent, un sourire amusé aux lèvres.

Ce n’est pas la première fois que je la vois, elle et son labrador, c’est la deuxième. La première fois, c’était il y a une quinzaine de jours, un peu plus haut sur le boulevard, entre l’arrêt de bus Port-Royal-St-Jacques et le café Harmony. Je passai, affairé, sur le trottoir ; elle était là, ennuyée, avec son chien. L’animal était couché sur le flanc, inerte. Sa maitresse tentait de le persuader de la suivre en tirant par secousses sur la laisse qui l’ancrait au sol tout en lui adressant injonctions, conseils, encouragements et insultes. Rien n’y faisait. La bête restait obstinément répandue sur l’asphalte brulant, aussi lourde et flasque qu’un édredon détrempé. Pourtant, à l’attitude de sa maitresse et au léger mouvement de l’extrémité de sa queue, on voyait bien que l’animal n’était pas mort. Il arborait même un certain sourire, suppliant certes, mais un certain sourire. Je vous assure, les labradors peuvent sourire. Je le sais, j’en ai eu deux, et c’est pourquoi, l’air affable et apitoyé tout à la fois , je m’approchai de la scène et dis :

— Pauvre petite bête, avec cette chaleur et à son âge, elle doit être épuisée …

Je parlais du chien, bien entendu, et d’ailleurs la dame ne s’y méprit pas une seconde puisqu’elle me répondit :

— Pensez-vous ! Il veut seulement que j’aille à la boulangerie d’en face !

Il y avait effectivement, en face, une boulangerie, mais je ne crus la dame qu’à moitié et je passai mon chemin.

A SUIVRE (demain, suite et fin)

4 réflexions sur « Les fausses morts de Coriolan du Vannage (1/2) (Couleur café n°34) »

  1. C’est le bandeau qui est aléatoire, pas le Journal ! Le Journal, lui, reste droit dans ses bottes, sacrebleu !

  2. En attendant la suite d’une fausse mort annoncée, je réserve mon commentaire au nouveau bandeau à la une qui, après avoir revendiqué l’irréfutabilité, le doute ou l’opprobre, nous annonce maintenant l’aspect aléatoire de notre (journal) quotidien. Après tout, pourquoi pas. Avec toutes les incertitudes qui caractérisent notre monde actuel, toute annonce est hasardeuse. Attendons demain. Aujourd’hui je me garderai bien d’imaginer une suite probable à cette histoire abracadabrantesque.

  3. Enfin! Tu réécris…bien sûr, malin , deux pistes s’offrent à nous : attendre le dénouement de la femme au corsaire ou du chien « aplati comme un édredon mouillé »: avec un suspense de taille : la boulangerie….

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