Heureuse

Morceau choisi

Ceci est le texte d’une chanson de Pierre Philippe, chantée par Juliette… pas Binoche — comment peut-on être une star et s’appeler Binoche, non vraiment elle exagère, pourquoi pas Grougnard pendant qu’elle y est ? — ni Greco, non, Juliette tout court.
La poésie, c’est pas tous les jours dans ce journal irréfutable. Alors, profitez-en.
(Vous pouvez aussi l’écouter en cliquant sur le lien en fin de texte.)

Heureuse

S’extraire au petit jour de la torpeur du lit,
Ouvrir grands les volets sur le vol des courlis,
Faire du café très fort, le boire à la fenêtre,
Respirer, expirer et se sentir renaître.
Se dire qu’il faudrait bien rentrer chaises et table
Mais attendre pour ça des temps moins délectables,
Là, descendre au jardin crissant sous la gelée,
Redresser les dahlias alanguis de l’allée

Ne pas lire le courrier, ne pas lire les journaux,
Les jeter tout en tas au loin sur le piano
Puis verser dans le bain l’huile d’amande douce,
Faire glisser le peignoir et sombrer dans la mousse,
Déjeuner sur la nappe de fil d’Ecosse écru,
Dans de l’ancien Moustiers, d’un peu de jambon cru,
Passe-Crassane, Louise-Bonne, Duchesse d’Angoulême,
Faire du choix d’une poire, un délicieux dilemme

Cueillir au bord du champ tout ce qui est violet
Scabieuses, asters, chardons, clématites à la haie
Et mêlant à ces fleurs des herbes de toutes sortes,
Composer un bouquet pareil aux natures mortes
Puis prendre au vol un livre, tomber sur Le Clézio,
Mais l’abandonner vite pour un roman idiot,
Vers la tombée du jour, interroger les cartes,
Éplucher quatre pommes pour en faire une tarte

Écouter dans le soir le long aboi d’un chien,
Regarder sur les prés la brume qui s’en vient,
Un instant deviner des présences invisibles,
Frissonner et fermer cette maison paisible,
Raviver d’une bûche le feu de cheminée,
Le nourrir à minuit des lettres de Renée,
Étendre enfin ce corps qui plus nul n’intéresse,
Lui accorder sans honte quelque intime caresse

Et surtout oublier l’armoire à pharmacie
Où dort de quoi mettre un terme à ce grand bonheur
Dragées d’Anafranil à prendre quand viendra l’heure…
Éteindre, s’endormir et faire comme si.

 

HEUREUSE

Prenez le temps d’écoutez ça : 4min.14

 

Bientôt publié

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1 Mar, 07:47 Machine à voyager dans le temps
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4 réflexions sur « Heureuse »

  1. Il n’y a rien de plus célébré, le quotidien, dans le monde. Et la poésie a de quoi éblouir la vie dans le quotidien quand on la trouve difficile, en cela y pas à plaindre que la douleur soit insupportable et sans envergure. Son absence a de quoi le rendre insupportable voire impitoyable dans ce qu’elle a de potentiellement tragique.

  2. … ne pas lire le courrier… le piano… de l’ancien Moustiers… du fil d’Écosse écru… de la Duchesse d’Angoulême…
    Et puis quoi encore ?
    C’est quand même pas mal BoBo, tout ça, non ?

  3. Pour ce qui est de Juliette, avant d’entendre cette chanson, je n’avais jamais entendu parler d’elle et c’est par le titre que je l’ai retrouvée sur iTunes. Je ne sais rien de son répertoire ni de ses engagements.
    J’avais été séduit par la voix et le ton de la poésie, dont certains passages me faisaient penser à une chanson de Barbara, Pierre.
    Pour que la comparaison soit meilleure, il suffira de remplacer Renée par René.
    Quant au suicide, il me semble qu’elle l’écarte, ou du moins l’oublie.

  4. Le JDC: c’est irréfutable….aurais tu la tentation de changer le titre de la Recherche ?
    Et bien pour nous lecteurs fidèles ç ´est tout comme : on ne change pas nôtre acronyme …
    Quant à Juliette , certes elle a une voix, elle, contrairement à nombreuses couineuses qualifiées de chanteuse ( notemment les Gainsbourg mere et fille), mais elle affiche un intellectualisme militant exaspérant au fil des ans ;
    Cette chanson est un peu cliché non?
    Et puis franchement l’apologie du suicide en ce moment ????

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