HISTOIRE DE DASHIELL STILLER – extrait du chapitre 3

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Extrait du chapitre 3 : Armelle Podeur

Armelle Podeur trouve son nom vulgaire. Elle a une grande admiration pour une jeune actrice, Simone Renant. Alors, pour exercer son métier, elle se fait appeler Simone Renoir. Simone fait une petite carrière de prostituée, sous la protection affectueuse d’un jeune voyou entreprenant, Sammy de Pantin. Mais la crise arrive :

(…)

La crise ? Ben, la mobilisation, quoi ! Août 39 ? Vous êtes au courant quand même ? Mobilisation générale ! Fin août, la moitié des hommes en âge de consommer qui partent à la guerre, enfin… à la drôle de guerre plutôt. En tout cas, pour nous les filles, c’était la crise. Et puis, voilà Sammy qui part aussi. Bon, lui, il est revenu au bout d’un mois seulement. Le Suédois lui avait passé une drogue à prendre au bon moment. Ça rendait cinglé pendant quelques heures, juste le temps de passer devant les médecins de l’armée. Et après, tout redevenait normal. Inapte à la discipline militaire et à la vie en communauté qu’ils ont dit, les toubibs. Réformé ! Tu penses si j’étais contente. Et quinze jours après, Casquette, pareil ! Réformé aussi ! Merci le Suédois ! Bon, le tapin continue mais au ralenti. Sammy fait bien quelques fricfracs avec Casquette et un peu de racket pour le Suédois, mais ça rapporte pas grand-chose. La crise, quoi ! Mais ça va quand même. Et puis, les Allemands arrivent. Juin 40, c’est l’Occupation qui commence. Et là, les affaires reprennent. Du feu de Dieu, même. Avec les soldats allemands, les filles savent plus où donner de la tête, si vous voyez ce que je veux dire. Et puis, il y a le marché noir qui commence… Au bout de six mois, Sammy, Casquette, ils ont gagné assez d’argent pour monter une affaire à eux, avec l’autorisation du Suédois, bien sûr. Ils louent pour pas cher un chouette petit hôtel particulier abandonné du côté de la Muette, et hop, quinze jours après, ils ouvrent une maison close… Le Marquis, qu’ils l’appellent. Ouvrir une maison, c’est bien, mais faut trouver le cheptel. C’est moi qui suis chargée de recruter. En fait, je fais la sélection et c’est Sammy qui discute des conditions avec les candidates. Les filles qui veulent bosser en maison plutôt que dans la rue, ça manque pas et je mets pas une semaine à en trouver une dizaine de tout à fait présentables. On ouvre Le Marquis en grandes pompes. C’était en juin 41. Que des huiles… des officiers de la kommandantur, des diplomates, un ou deux ministres de Vichy, un type important dans la Milice, des artistes, enfin le gratin, quoi… Et ça marche tout de suite. Je surveille la tenue des filles, Casquette se charge de la discipline et Sammy reçoit les clients. L’argent rentre. On paie la dime au Suédois, bien sûr, mais il en reste pas mal, sans compter les casses et le marché noir. Par une combine avec les Allemands, Sammy a même pu s’acheter la Delahaye d’un directeur de banque qu’avait fichu le camp d’urgence en Suisse. Par les clients du Marquis, il a toutes les autorisations possibles pour rouler le jour, la nuit, partout ou presque. Sammy, Casquette, Joselyne, sa régulière — c’est une des filles du Marquis — et moi, on fait tout le temps la fête, on va au bord de la mer, à Cabourg, justement, on boit du champagne, on mange des huitres et tout, c’est la grande vie ! Et puis, un matin, le drame ! On était en juillet, on avait fait une fête à tout casser et on venait de se coucher. Six heures du matin, du bruit dans la rue. Crevés comme on était, on bouge même pas pour regarder ce qui se passe. Et puis, dix minutes plus tard, on cogne à la porte. « Qui c’est? » que je demande. « Police, ouvrez ! » Alors j’ouvre, forcément ! Un flic en uniforme…

« C’est bien ici qu’habite Philippe Portier ?

— C’est moi, dit Sammy qui se réveille de mauvais poil. Qu’est-ce qu’y a ? J’ai laissé mes phares allumés ? »

Le flic, il sort un papier et lit « Monsieur Samuel Goldenberg, alias Philippe Portier, alias Sammy de Pantin, né à Rovno en Pologne, de nationalité polonaise, en possession de faux papiers d’identité, de race et de confession juive, vous êtes en état d’arrestation. Veuillez me suivre. Vous avez trois minutes pour faire votre valise. »

Bon sang, je le revois encore, ce salaud de flic ! Et mon Sammy qui ne comprenait rien à ce qui lui arrivait…

(…)

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