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Le cliché de Jean Renoir
(…) Mais le dieu le mieux retranché dans sa forteresse, l’ennemi numéro un, c’est le cliché. Par cliché, j’entends une image, une opinion, une pensée qui s’est sournoisement substituée à la réalité. Il y a des clichés qui durent depuis des centaines d’années. En voici quelques-uns : le bon vieillard, l’amour vainqueur de tous les obstacles, le fidèle serviteur, la bravoure militaire, le sens de l’humour des Anglais, les méridionaux vêtus de couleurs vives, la fin justifie les moyens.
Or, la vie nous apprend qu’il y a de méchants vieillards, que l’amour est souvent vaincu, que les serviteurs ne sont toujours fidèles, qu’il y a des militaires parfaitement lâches, qu’il y a des Anglais dénués de tout sens de l’humour, que la plupart des méridionaux s’habillent en noir, qu’il n’y a pas de fin qui justifie l’assassinat. J’ajoute que les jeunes premières de cinéma blondes et parfumées ne représentent que de loin les jeunes premières de la vie. Pour obéir au cliché on leur colle des perruques blondes bouclées. J’aimerais penser que cette utilisation du cliché ne trompe personne. Mais non, nourri de mensonges, le public tient à ses habitudes et se complait dans la fausseté d’un monde qu’on lui a fabriqué.
Jean Renoir – Ma vie et mes films
Le conte ou le conteur ? La forme ou le fond ?
Une œuvre d’art n’est digne de ce nom que si elle donne au public l’occasion de rejoindre l’auteur. Regarder le « Radeau de la Méduse » équivaut à une conversation avec Géricault. Le reste, notamment le compte rendu de la situation n’est que littérature. Il en est de l’art comme de la vie. On aime une histoire parce qu’on aime le conteur. La même histoire, contée par un autre, n’offre aucun intérêt. André Gide résume cet état de choses en deux mots : « En art, seule la forme compte. »
Jean Renoir-Ma vie et mes films
Je vous l’ai dit cent fois : l’histoire, on s’en fout, c’est le style qui compte !