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Le Patrimoine aux grilles du jardin (Critique aisée 82)

Critique aisée n°82

Le Patrimoine aux grilles du jardin

Je vous écris de la terrasse du Rostand.

À l’heure où j’écris cette quatre-vingt deuxième « Critique Aisée », le soleil se faufile entre les nuages derrière les marronniers du Luxembourg. Dans une vingtaine de minutes, il va commencer à faire frais. Assis sur ma chaise en osier tressé jaune, je peux apercevoir quelques-unes des nouvelles photographies exposées le long de la rue de Médicis.

A plusieurs reprises, j’ai critiqué la présence de ces grands placards que l’on accroche de temps en temps aux grilles du Luxembourg le long de la rue de Médicis.

Je trouve en particulier qu’elles empêchent d’admirer le jardin, dans la mesure où, lorsque l’on passe sur le trottoir, on regarde les photos et on ne voit plus les arbres, la fontaine, les promeneurs. On contemple un paysage du Tibet, un visage de Colombie, une rivière de Chine, et l’on ne voit plus les visages distordus des joggers, les jambes bronzées des filles, ou l’air fatigué des touristes. J’avais été jusqu’à suggérer qu’au lieu de toutes ces images exotiques, on expose Continuer la lecture de Le Patrimoine aux grilles du jardin (Critique aisée 82)

J’ai dix ans (Chap.1)

1-Grandes vacances
Comme Souchon, je sais que c’est pas vrai, mais j’ai dix ans. Peut-être onze. Les grandes vacances sont commencées depuis déjà longtemps mais la rentrée, fixée au 2 octobre, est encore à perte de vue. Ça me permet d’effacer facilement la vague angoisse du passage en sixième dont on m’a dressé un tableau terrifiant.
Les premiers jours de Juillet ont été merveilleux. Je suis resté à Paris. Il a fait beau et chaud, j’ai fait du patin à roulettes sur le boulevard, j’ai fait naviguer des voiliers sur le bassin du Luxembourg, je me suis baigné dans la fontaine Carpeaux, je suis allé deux fois chez mon ami René-Jean où nous avons mis le feu à un petit bois le long de la voie ferrée, fumé des baguettes de sureau et lancé des pétards sur la bande d’Andrésy-le-Bas, je suis allé une fois au guignol, deux fois au cinéma ( Le Corsaire Rouge! La Guerre des Mondes !) et j’ai vu le feu d’artifice du 14 juillet dans le jardin des Tuileries. C’était chouette.

Après, c’était moins bien, mais pas mal quand même. Un mois à Saint-Brévin-l’Océan. Hôtel des Tamaris, construction d’avant-guerre en bord de plage, ses chambres avec balcon et vue sur mer ou sans balcon et vue sur jardin, sa terrasse à balustrades en ciment blanc imitation bois et sa salle à manger panoramique d’où, tous les soirs, nous guetterons le rayon vert et les marsouins. Nous sommes arrivés là par le train en deuxième classe, ce qui permet de regarder de haut les passagers de la troisième classe, puis en autocar Chausson. Je partage une chambre sur mer avec Maman. Ma soeur et notre cousine sont dans une chambre sur jardin à un autre étage. Je crois  que ça arrange ces deux grandes filles qui vivent à mille lieues de moi. Papa n’est pas là, il ne vient jamais en vacances avec nous. On me dit qu’il viendra peut-être passer deux ou trois  jours. Quand? Bientôt.
Parasol bleu, ballon rouge, seau et pelle jaunes, casquette assortie jaune-rouge-bleu, sac de billes, coureurs cyclistes de plomb, j’ai tout l’équipement. Mais la plage, tous les jours, c’est un peu ennuyeux. Club des Marsouins, jeu de la chandelle, gymnastique suédoise, leçon de natation…Heureusement, il y aura le concours de châteaux de sable du Figaro, le passage du Tour de France et la promenade aux îles.

Nous rentrons à la maison juste après le 15 août et je me vois déjà avec plaisir reprendre mes activités parisiennes jusqu’à la rentrée. Mais une mauvaise surprise m’y attend. Mes parents ont décidé de me confier pour une quinzaine de jours aux Levallois. Désespoir.

Les Levallois vivent à Touffreville, un tout petit village en bordure de la forêt de Lyons. (C’est là que mes parents louent à l’Etat une maison forestière, jolie mais rudimentaire – il n’y a pas d’eau courante. )  Elle, c’est Madeleine. Maman l’emploie comme femme de ménage. Elle arrive à la maison en mobylette ou avec sa fourgonnette 2CV quand elle apporte les bidons d’eau potable. Elle m´impressionne car, contrairement à notre bonne de Paris, respectueuse et stupide, elle parle haut, d’égale à égale avec Maman qui semble même un peu intimidée par cette femme énergique qui dirige son colosse de mari comme elle l’entend.
Monsieur Levallois, dont j’ai toujours ignoré le prénom, est très grand, un peu gros et très fort. Il est aussi un peu plombier et gère un petit dépôt de gaz butane. On le voit souvent charger sans effort les grosses bouteilles bleues dans la 2CV qui plie sous le poids. Il parle peu. Il fait du bruit en respirant par le nez.

Je n’ai pas du tout envie de perdre une partie de mes vacances avec ce couple sans chien, sans enfant, ni citadin ni paysan, si différent. Mes protestations se heurtent aux descriptions enthousiastes que l’on me fait du bon air et de la vie simple et campagnarde au milieu des poules et des lapins
– Et des bouteilles de butane ! ajoute ironiquement mon père qui croit que je ne l’entends pas.
(à suivre)

Publication du chapitre 2: lundi 19 mai