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Les chiens de Téhéran

Le premier texte paru dans le Journal des Coutheillas le 26 novembre 2013 avait pour titre « Ma table de travail ». Mais ce n’était pas le premier que j’aie jamais écrit. (Il y a peut-être ici un problème de subjonctif). Celui qui vient ci-dessous a été publié une première fois il y a huit ans. C’est mon premier texte . Prometteur, non ? 

C’est la mi-octobre et la guerre du Kippour vient de commencer. L’Iran de Reza Chah Pahlavi n’est pas engagé dans le conflit, mais, en tant que pays musulman et pour sa propre paix intérieure, il a choisi son camp et fait semblant d’encourager quelques manifestations anti-israéliennes dans Téhéran.
Il doit être une heure du matin. Il fait bon dans les quartiers nord de la ville. A cette heure, tout y est largement éclairé, calme et même désert.
Je viens de passer la soirée avec une jolie jeune femme. Elle est la secrétaire d’un membre de la famille impériale, iranienne par son père, blonde par sa mère, russe. Nous avons diné dans ce restaurant, russe également, Chez Léon, et continué la soirée dans la boite de nuit du Hilton. Je ressors les balais d’essuie-glace du coffre de sa petite voiture, une Pekan, et je la reconduis chez elle. Je suis content de ma soirée et ma douce euphorie me pousse à rentrer à pied jusqu’à mon hôtel : peut-être une demi-heure de marche selon un itinéraire qui sera facile dans cette partie moderne de la ville.
Je marche le long d’une large avenue où passent de temps en temps une voiture de la police ou de la SAVAK. Elles ralentissent pour m’observer puis reprennent leur croisière en faisant ronfler leur huit cylindres.
En regardant s’éloigner l’une de ces voitures fantomatiques, je m’aperçois qu’un chien me suit. Il reste à une vingtaine de mètres derrière moi. C’est un animal plutôt jaune, de taille moyenne et d’une race imprécise. Je me retourne et m’avance lentement vers lui en lui parlant d’une voix douce. Il ne gronde pas et son poil reste lisse sur son dos, mais il recule d’autant que j’avance.
Je reprends ma promenade. Il reprend la sienne, mais je remarque qu’il a réduit de moitié la distance qui nous sépare. Bientôt, arrivent de l’obscurité d’une rue adjacente un autre chien qui se joint au premier, puis deux, puis trois. Il en vient de tous les côtés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. La bande qui s’est formée trottine allègrement derrière moi en conservant la distance. Je m’étonne que les chiens ne se battent pas entre eux et restent silencieux. Je ne me sens pas menacé, mais je juge plus prudent de ne pas m’arrêter comme la première fois.
Lorsque j’arriverai devant l’Imperial Hotel, la bande comptera bien une douzaine de chiens. Il me restera alors à franchir les vingt mètres de l’allée qui, à travers le jardin privé, mène jusqu’à la porte de l’hôtel.
Arrivé au seuil du lobby, je me retourne. Les chiens se sont arrêtés par petits groupes sur le trottoir de l’avenue. Certains se sont assis. Ils me regardent presque tristement, avec un air de reproche : je les laisse tomber.
Aujourd’hui encore, je me demande la raison de cette procession à travers la ville. Est-ce que cette meute croyait que j’allais lui donner quelque chose à manger ? Est-ce que ces chiens espéraient un quartier plus favorable pour me mettre en pièces ? Était-ce par amitié ou simplement pour passer le temps ?
3 chiens

 

Rendez-vous à cinq heures : Man farsi balam nistam 

La page de 16h47 est ouverte…

Man farsi balam nistam
par Guy

En 2008, j’étais à Téhéran pour quelques conseils techniques visant à améliorer la tenue de trois grands ponts de la ville, malheureusement sous-dimensionnés au séisme, hélas relativement fréquent et violent dans la région.

Je vais vous raconter une anecdote. Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures : Man farsi balam nistam 

Petite note à l’usage de mes biographes (3)

3- Téhéran – Les chiens et le Shah

Téhéran ? J’y ai vécu un grand mois dans un bel hôtel moderne du quartier nord, l’Imperial Hotel, à réfléchir à la possibilité de réaliser un métro dans cette ville immense et disparate. Pour moi, les conditions de vie y étaient paradisiaques (j’en ai dit un mot dans Les chiens de Téhéran) : Ville nord moderne et confortable, bons restaurants, caviar pas cher, bourgeoisie francophone et francophile, cinémas et boites de nuit ; ville sud pittoresque et voilée, poussiéreuse et pratiquante, bazar exempt de touristes, mosquées inaccessibles. C’était il y a près de cinquante ans.

Deux jours après mon arrivée, le 6 octobre 1973, une attaque concertée des Egyptiens dans le Sinaï et des Syriens sur le Golan déclenchait ce qui devait être « la guerre du Kippour ». Elle dura 3 semaines. 

A l’époque, c’est Mohammad Reza Shah qui régnait sur l’Iran. C’est sans doute pourquoi le pays ne prit aucune part au conflit, au contraire de plusieurs autres pays musulmans. Seules quelques manifestations dans Téhéran-sud vinrent apporter un soutien purement formel à la coalition. Je remarquai aussi la discrétion de la bourgeoisie, très vraisemblablement pro-israélienne, dans ses commentaires sur la guerre. De son côté, la télévision du Shah faisait de son mieux pour condamner Israël sans convaincre personne. 

A part ça, la vie continuait comme avant pour moi et pour les Farsis. 

Un cessez-le-feu intervint le 23 octobre. Un peu plus tard, je remis un petit bout de rapport qui devait conclure, comme c’est l’usage, au besoin d’études complémentaires et je quittai Téhéran pour Athènes le 15 novembre.

Les travaux du métro commencèrent en 1978 sous l’égide d’une filiale de la RATP pour être interrompus par la révolution islamique et la guerre Iran-Irak. Ils ne reprirent qu’un vingtaine d’année plus tard, avec des entreprises chinoises. 

Telle fut ma contribution au métro de Téhéran. 

Bientôt publié
17 Déc, 07:47 Hôtel
18 Déc, 07:47 Le Wokisme a 50 ans
18 Déc, 16:47 Rendez-vous à cinq heures : souvenir de cinéma (2)

Les chiens de Téhéran

C’est la mi-octobre et la guerre du Kippour vient de commencer. L’Iran de Reza Chah Pahlavi n’est pas engagé dans le conflit, mais, en tant que pays musulman et pour sa propre paix intérieure, il a choisi son camp et fait semblant d’encourager quelques manifestations anti-israéliennes dans Téhéran.
Il doit être une heure du matin. Il fait bon dans les quartiers nord de la ville. A cette heure, tout y est largement éclairé, calme et même désert.
Je viens de passer la soirée avec une jolie jeune femme. Elle est la secrétaire d’un membre de la famille impériale, iranienne par son père, blonde par sa mère, russe. Nous avons diné dans ce restaurant, russe également, Chez Léon, et continué la soirée dans la boite de nuit du Hilton. Je ressors les balais d’essuie-glace du coffre de sa petite voiture, une Pekan, et je la reconduis chez elle. Je suis content de ma soirée et ma douce euphorie me pousse à rentrer à pied jusqu’à mon hôtel : peut-être une demi-heure de marche selon un itinéraire qui sera facile dans cette partie moderne de la ville.
Je marche le long d’une large avenue où passent de temps en temps une voiture de la police ou de la SAVAK. Elles ralentissent pour m’observer puis reprennent leur croisière en faisant ronfler leur huit-cylindres.
En regardant l’une de ces voitures fantomatiques s’éloigner, je m’aperçois qu’un chien me suit. Il reste à une vingtaine de mètres derrière moi. C’est un animal plutôt jaune, de taille moyenne et d’une race imprécise. Je me retourne et m’avance lentement vers lui en lui parlant d’une voix douce. Il ne gronde pas et son poil reste lisse sur son dos, mais il recule d’autant que j’avance.
Je reprends ma promenade. Il reprend la sienne, mais je remarque qu’il a réduit de moitié la distance qui nous sépare. Bientôt, arrivent de l’obscurité d’une rue adjacente un autre chien qui se joint au premier, puis deux, puis trois. Il en vient de tous les côtés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. La bande qui s’est formée trottine allègrement derrière moi en conservant la distance. Je m’étonne que les chiens ne se battent pas entre eux et restent silencieux. Je ne me sens pas menacé, mais je juge plus prudent de ne pas m’arrêter comme la première fois.
Lorsque j’arriverai devant l’Imperial Hotel, la bande comptera bien une douzaine de chiens. Il me restera alors à franchir les vingt mètres de l’allée qui, à travers le jardin privé, mène jusqu’à la porte de l’hôtel.
Arrivé au seuil du lobby, je me retourne. Les chiens se sont arrêtés par petits groupes sur le trottoir de l’avenue. Certains se sont assis. Ils me regardent presque tristement, avec un air de reproche : je les laisse tomber.
Aujourd’hui encore, je me demande la raison de cette procession à travers la ville. Est-ce que cette meute croyait que j’allais lui donner quelque chose à manger? Est-ce que ces chiens espéraient un quartier plus favorable pour me mettre en pièces? Était-ce par amitié?
Ou simplement pour passer le temps?
3 chiens