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Et si on figeait les syntagmes ! Critique aisée 22

Avant, je disais « cliché » ou bien « lieu commun ». Oui mais ça, c’était avant, avant qu’on ne m’apprenne cette jolie locution de syntagme figé. La définition du syntagme figé n’est pas facile à donner sans être pédant ou même simplement ennuyeux. Aussi, j’ai écrit cette petite aventure, qui en comporte 135.
Si, au bout de quelques lignes, vous avez compris ce que veut dire syntagme figé, il est inutile que vous lisiez l’histoire jusqu’au bout car elle ne présente aucun intérêt.

« Nous arrivâmes dès potron-minet dans la capitale mystérieuse de ce pays plein de contrastes au climat toujours enchanteur. Frais et dispos, et plein d’un enthousiasme juvénile, nous prîmes aussitôt nos cliques et nos claques pour rejoindre le guide expérimenté qui nous avait été recommandé par un ami sûr. Sous un soleil de plomb, nous dûmes traverser des embouteillages monstres dans des faubourgs mal famés.
Notre mentor était en fait un jeune godelureau aux yeux bleu acier, au regard fier et à la mâchoire volontaire. Son visage buriné contredisait sa frêle constitution.
En quelques mots bien sentis, il nous apprit que nous allions entreprendre, sous son indiscutable autorité, un voyage périlleux, peut être même un voyage sans retour, à travers des jungles impénétrables à la végétation luxurianterodent le tigre cruel et le merle moqueur. D’un air lugubre, il nous annonça aussi que nous allions nous enfoncer au cœur de vallées profondes, franchir des précipices vertigineux sur des ponts de fortune, entourés de sommets inaccessibles aux cimes enneigées. Il ajouta que nous allions certainement rencontrer un temps de chien avec des froids de canard et des chaleurs extrêmes entrecoupées de pluies battantes. Il serait possible que de temps en temps nous puissions prendre un repos bien mérité dans une modeste demeure où nous serions accueillis comme des rois par des paysans taciturnes mais gagnant à être connus. D’un air entendu, notre cicérone nous précisa que, pour cela, il nous faudrait une chance de cocus. Nous aurions alors une occasion inespérée de découvrir les traditions séculaires, les coutumes ancestrales, les rites étranges et l’hospitalité légendaire de ces peuplades primitives. Toutefois, il conviendrait de ne pas abuser de leur patience et de conserver en toute circonstance un calme olympien et une attitude irréprochable. En effet, nous dit-il, il était arrivé au cours d’une expédition précédente qu’un jeune crétin, de surcroit célibataire endurci, du type même du dragueur de supermarché, indispose un vieux con du coin par une regrettable erreur de comportement. Cet âne bâté eut en effet un geste déplacé envers l’une des jeunes filles en fleur du village. Accouru en hâte aux cris d’orfraie de la vierge effarouchée et témoin des honteuses pratiques du grossier personnage, le vieux con rameuta la vile populace qui accourut en nombre et remplit la place comme une mer démontée. Alors, les événements se précipitèrent et les indigènes entamèrent une ronde effrénée dans un cercle infernal. Ce n’est qu’avec l’intervention musclée de notre guide professionnel et des quelques uns de ses compagnons d’infortune que pût se faire le retour au calme après qu’ils  eurent  infligé une sévère défaite aux farouches assaillants. Il n’y avait cependant pas l’ombre d’un doute qu’ils l’avaient échappé belle et que les nobles étrangers ne seraient plus en odeur de sainteté dans ce coin perdu, au milieu de nulle part.
Trêve de plaisanteries, nous dit notre guide, il est temps de revenir à nos moutons, et de partir à l’aventure.
Bêtes et disciplinés, nous saisîmes nos bâtons de pèlerins et notre courage à deux mains et nous partîmes d’un bon pas vers ces horizons lointains qui nous tendaient les bras dans la lumière crépusculaire d’un soleil déclinant.
À la campagne riante succéda rapidement le désert aride dont la traversée fut d’un ennui mortel. Au bout d’une petite heure, nous eûmes l’estomac dans les talons et dûmes faire une petite halte pour un repas frugal et quelques boissons fraîches. A cette occasion, nous pûmes constater que notre guide avait plutôt le gosier en pente, car il s’accorda de larges rasades du beaujolais nouveau dont vous me direz des nouvelles et que nous réservions pour les grandes occasions et pour la bonne cause. Personnellement, j’estime que la seule attitude responsable vis à vis de l’alcoolisme mondain est la tolérance zéro, sinon, selon les milieux bien informés, c’est la mécanique implacable de la pente savonneuse dont seule une spirale vertueuse peut vous faire sortir.
Quant tout fut consommé, il était trop tard pour poursuivre notre route, et nous dûmes dresser un campement de fortune au milieu de cette contrée hostile.
Ce fut pour nous l’occasion inespérée de pouvoir soigner la fièvre de cheval qui menaçait de nous terrasser si nous ne prenions pas sans délai toutes les mesures adéquates que les circonstances exigeaient.
De façon évidente, la première de ces mesures d’urgence consisterait, dès l’aurore, à regagner nos pénates en rebroussant chemin pour regagner chacun son chez-soi, sans plus tarder.
Aux premiers rayons du soleil, nous annonçâmes notre décision unanime et, pour justifier notre geste inconsidéré, nous prîmes comme prétexte fallacieux celui d’affaires urgentes nous rappelant au pays natal.
Notre guide en fit illico une jaunisse carabinée.

Fin de tout ou Fin de non recevoir

The Grand Budapest Hotel. Critique aisée 10

(Pas) Drôle de Palace

The Grand Budapest Hotel
Film de Wes Anderson, avec Ralph Fienes, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Mathieu Amalric, Lea Seydoux, Bill Murray, Ed Norton, Jude Law, Owen Wilson, Adrien Brody, Willem Dafoe, Jeff Goldblum, etc, etc…

Vous avez vu la distribution, là, juste au-dessus ? J’aurais dû me méfier.
Dans l’histoire du cinéma, il est extrêmement rare qu’une superproduction dans laquelle on a réuni un si grand nombre d’acteurs de premier plan soit une réussite.
Pourtant, Hollywood renouvelle l’expérience à peu près tous les cinq ans. Et souvent, ça marche, commercialement parlant s’entend. Pourquoi ? Parce que chacun y met du sien.
De leur côté, les comédiens importants y participent volontiers comme ils donneraient leur concours à une fête de bienfaisance. Probablement peu payés, ils sont ravis de se grimer, d’incarner de tout petits rôles à contre-emploi, qui leur permettent d’adresser des clins d’œil à leur public habituel.
Quant au public, lui, il est attiré par cette pléiade d’acteurs, conditionné par une campagne promotionnelle pas trop mal faite, ébloui par une bande annonce rythmée et prometteuse et canalisé par une critique unanime (mon professeur d’écriture littéraire dirait que « pléiade d’acteurs » et « critique unanime » sont deux syntagmes figés, forme à éviter autant que possible ; bon, d’accord, mais comment exprimer autrement et en si peu de mots que Pariscope, Daily telegraph, The Guardian, Ecran Large, Elle, Journal du Dimanche, Le Figaro, Le Monde, Les Inrocks, La Croix, Marianne, Nouvel Obs, Le Point, Télérama -ah ! l’article de Télérama(1) !-, Le canard Enchainé, ont donné d’excellentes notes à Grand Hôtel Budapest)

Pour moi, J’ai trouvé ce film très décevant et plutôt ennuyeux.
Pourtant, je commencerai par le seul point positif que j’ai pu y trouver : les décors. Parfois reconstitution très soignée de ce qu’on imagine avoir été le grand luxe des années folles, parfois pur carton-pâte totalement assumé, poétique et rigolo, le mélange des  deux genres est surprenant et finalement plaisant, malgré une volonté  esthétique souvent très appuyée. Les costumes suivent. Dans la colonne de gauche (celle de l’actif), on ajoutera donc les costumes aux décors.
Mais on pourra  mettre tout le reste dans la colonne de droite.
En tant que ressorts comiques, le film utilise le décalage, le loufoque et la poursuite. Mais les décalages sont  répétitifs, le loufoque sans rythme, et les poursuites interminables.
Ce pauvre Ralph Fienes, d’habitude plus subtil, en est réduit à rejouer sans arrêt les deux mêmes scènes : celle de l’homme élégant, distingué et coureur de vieilles femmes riches, donnant des leçons de vie et de tenue au jeune groom admiratif, et celle du même homme, élégant, distingué et tout et tout, mais dépassé, éperdu dans des situations dangereuses et burlesques.
Bref, on s’attendait à une comédie brillante, sophistiquée, rapide et légère et on se retrouve avec un film au montage laborieux, au comique répétitif, avec pour couronner le tout une intrigue sordide et confuse. Pendant quatre-vingt-dix minutes de film, dans cette salle à moitié pleine, le lendemain de la sortie, on n’a pas entendu un seul rire.
Bon, il y a les décors, d’accord. Et les costumes, d’accord.
N’empêche, j’aurais dû me méfier.
Maintenant, vous êtes prévenus ; vous avez d’un côté, le syntagme figé de la critique unanime et, de l’autre, le spectateur figé du jeudi matin, moi, tout seul!
Vous devriez vous méfier.

Note (1)
On peut dire de Wes Anderson qu’il a la carte.
Louis Guichard, critique à Télérama, dans sa chronique on ne peut plus élogieuse consacrée au Budapest Hotel, écrit notamment ceci :
(…) la vieille maitresse énamourée et octogénaire jouée avec génie par Tilda Swinton (…)
Personnellement, j’apprécie beaucoup cette actrice qui a joué à la perfection plusieurs rôles difficiles. Mais il faut savoir que, dans le Budapest Hotel, elle apparait deux fois. La première fois, c’est pendant à peu près 2 minutes 30 secondes, dissimulée derrière un maquillage outrancier qui lui tient lieu d’expression. Quand elle apparait pour la deuxième fois, elle est dans son cercueil, totalement morte, rôle qu’elle joue effectivement à la perfection, avec génie. Mais jusqu’où ira l’enthousiasme de Monsieur Guichard ?
Eh bien,  jusqu’à déceler un clin d’œil évident (sic) à Max Ophüls dans le fait que le personnage que joue Tilda Swinton, la comtesse Desgoffe und Taxis, est appelé familièrement Madame D. par le personnel de l’hôtel, ce qui constitue selon le critique une subtile référence au film « Madame de… », histoire d’une ravissante aristocrate frivole incarnée par Danielle Darrieux en 1953. Allez plutôt revoir « Madame de… » et goutez la différence.