Archives par mot-clé : Style

Contrainte et littérature

Morceaux choisis

Contrainte et littérature

L’art est toujours le résultat d’une contrainte. Croire qu’il s’élève d’autant plus haut qu’il est plus libre, c’est croire que ce qui retient le cerf-volant de monter, c’est sa corde.
André Gide

Une idée ne vaut que par la forme et donner une forme à une vieille idée, c’est tout l’art.
Anatole France

Il y a un danger pour les jeunes gens. Ils trouvent en entrant dans la vie trop d’idées éparses autour d’eux, et leur vanité les porte aisément à croire qu’elles leur appartiennent alors qu’elles appartiennent à leur époque.
Léon Blum

Les verbes être et avoir sont, en français, des ennemis mortels du style concret, car ils ramènent toutes les pensées à des équations. […] Du reste, ces deux auxiliaires bâtissent toutes les phrases sur le même modèle. Ils encouragent l’inertie de l’esprit ; ils entraînent des pléthores d’adjectifs, des multiples d’adverbes. Il faut les fuir comme la peste. Il faut faire la guerre aux adjectifs et aux adverbes ; ce sont les preuves d’un esprit paresseux ou romantique. Il est rare, du reste, qu’un adjectif ne se puisse remplacer par un verbe.
Jean Dutourd

(Il faut)supprimer d’un texte tout ce que tout le monde connait déjà par le journal ou le cinéma, ce que tout le monde sait avant de le lire, le composer par conséquent de trous. Ce qui reste, c’est de la dentelle.
Alexandre Vialatte

 

Simenon, l’homme sans style

Morceau choisi

Georges Simenon est mort il y a trente et un ans à l’âge de 83 ans. Il fut un écrivain d’une prolixité et d’une diversité exceptionnelle : cent quatre-vingt-treize romans, cent cinquante-huit nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom, cent soixante-seize romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous vingt-sept pseudonymes (source: Wikipédia).
Voici ce qu’Alexandre Vialatte écrivait sur le style de Simenon, l’homme sans style :

Simenon est un cas dans la littérature. C’est même un de ses monstres sacrés, bien que la chose lui fasse de la peine. Or, la littérature commence, et même finit, au style. À la façon dont on raconte, non à la chose qui est racontée. Lisez Chardonne, ou Paul Morand ou Saint-Simon. Pas une phrase d’eux qui ne soit signée. On ne confond pas. Lisez une phrase de Simenon ; elle pourrait être de tout le monde. De tout le monde et de n’importe qui (à condition que n’importe qui n’imite personne). Et c’est quand même un très grand écrivain. Ce problème m’a toujours troublé. Voilà un homme qui a Continuer la lecture de Simenon, l’homme sans style

Rature et littérature

Morceau choisi

La première qualité du style, c’est la clarté. (…)
Alcimadas a ce défaut. (…) Il ne se contente pas de dire la “sueur”, il ajoute : l’humide sueur. Il ne dit pas “les jeux de l’Isthme”, mais “la solennité des jeux de l’Isthme”. Dire “les lois” serait trop peu pour lui ; il ajoute : les lois, reines de états. (…) Jamais il ne dira “le chagrin”, mais : le triste chagrin de l’esprit. (…) S’il faut dire : il cacha telle chose sous des branches d’arbres ; il ajoute : sous des branches d’arbres de la forêt.
Aristote

L’art n’est pas d’aligner des mots, mais d’en enlever.
Paul Morand

La règle, c’est qu’il faut laisser refroidir son premier jet, jusqu’à ce que le texte vous en redevienne étranger. On reprend ensuite ses phrases ; on rature, on biffe, on allège, on résume, on essaye de concentrer sa pensée dans le moins de mots possibles. La page est-elle noire, recopiez-là, c’est l’essentiel. Une fois recopiée, elle vous paraîtra tout autre. […]   Recommencez le même travail.
Antoine Albalat

Où la pensée s’affermit, l’épithète se raréfie.
Maurice Chapelan

Vous avez compris ?
Si vous écrivez, soyez bref ! Mais sachez que ça prend un temps fou !

Bientôt publié

13 Juil, 7 h 47 min Echecs
14 Juil, 7 h 47 min BONJOUR, PHILIPPINES ! – 9 – RETOUR AU CHALET
15 Juil, 7 h 47 min Toutes les mêmes

Un livre sur rien

Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui même par la force interne de son style, comme la Terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celle où il y a le moins de matière. Plus l’expression se rapproche de la pensée plus le mot colle dessus et disparaît et plus c’est beau.

Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet – 16 janvier 1852

Admettez quand même que ça fait des années que Raymond Chandler et moi, on se tue à vous répéter que : « l’histoire, on s’en fout. C’est le style qui compte! »

ET DEMAIN, AU COMPTOIR DU PANTHÉON, LE RÉALISME ET LA VIOLENCE DE CERTAINES SCÈNES POURRAIT FAIRE RIGOLER LES MOINS SENSIBLES D’ENTRE VOUS. 

Ecriture blanche

Ecriture blanche : Notion proposée par Roland Barthes pour désigner l’idéal de transparence extrême se manifestant dans le refus de tout ornement stylistique visé par certains écrivains.

Morceau choisi

(…) En bas, l’orchestre commençait à jouer et les dineurs arrivaient. Entre deux morceaux, nous entendions les murmures des conversations. Une voix se détachait de ce bourdonnement — voix de femme — ou un éclat de rire. Et l’orchestre reprenait. Je laissais la porte-fenêtre ouverte pour que ce brouhaha et cette musique montent jusqu’à nous. Ils nous protégeaient. Et puis, ils se déclenchaient chaque jour à la même heure et cela voulait dire que le monde continuait de tourner. Jusqu’à quand ?
La porte de la salle de bain découpait un rectangle de lumière. Yvonne se maquillait. Moi, accoudé au balcon, j’observais tous ces gens (la plupart en tenue de soirée), le va-et-vient des garçons, les musiciens dont je finissais par connaitre chaque mimique. Ainsi, le chef d’orchestre se tenait penché, le menton presque collé contre la poitrine. Et lorsque le morceau finissait, il relevait la tête brusquement, la bouche ouverte, comme un homme qui suffoque. Le violoniste avait un gentil visage un peu porcin, il fermait les yeux et dodelinait de la tête en humant l’air.
Yvonne était prête. J’allumais une lampe. Elle me souriait et prenait un regard mystérieux. Pour s’amuser, elle avait enfilé des gants noirs qui montaient jusqu’à mi-bras. Elle était debout au milieu du désordre de la chambre, le lit défait, les peignoirs et les robes éparpillés. Nous sortions sur la pointe des pieds en évitant le chien, les cendriers, le tourne-disque et les verres vides. (…)

Patrick Modiano – Villa triste – 1975

Simplicité d’un style 
238 mots pour décrire un début de soirée dans un grand hôtel d’une ville d’eau
3 adjectifs
2 adverbes
C’est tout
Point d’exclamation