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Socrate enfin clair !

temps de lecture : 4 minutes parce que c’est un peu ardu par moments.

Le texte ci-dessous a été diffusé une première fois sous le titre « Scio me nihil scire » en août 2018. A la demande générale et pour l’éducation des jeunes qui à cette époque ne lisaient encore que Joël Dicker, je le rediffuse aujourd’hui sans rien y changer, car Socrate ne changera jamais, pas vrai ?

« Scio me nihilisme sire‘. Voilà ce que disait Socrate, du moins quand il acceptait de parler latin. C’est Platon qui nous le dit : « Je sais que je ne sais rien.« 

Adage sympathique, plein de modestie et parfois mal compris. Voyons cela :

Tout d’abord, il ne faut pas s’arrêter au caractère oxymorique — je ne suis pas certain que ce mot existe vraiment —  sinon, on tombe dans l’abyme : en effet, si je sais que je ne sais rien, c’est que je sais au moins une chose (à savoir : que je ne sais rien), donc je ne peux pas dire que je ne sais rien, car si je ne savais rien, je ne saurais même pas que je ne sais rien.

Une autre utilisation erronée, ou même frauduleuse, de cette sentence serait de s’en servir pour Continuer la lecture de Socrate enfin clair !

Socrate et l’écriture

Morceau choisi

Dans ce dialogue avec Phèdre, Socrate lui raconte l’histoire de ce dieu Theuth qui vint présenter au roi de toute l’Égypte, Thamus, les arts qu’il avait inventé. Quand il en vient à l’Écriture, Thamus demande à Theuth de quelle utilité serait cet art.

Cette science (l’Écriture), Ô roi ! lui dit Theuth, rendra les Égyptiens plus savants et soulagera leur mémoire. C’est un remède que j’ai trouvé contre la difficulté d’apprendre et de savoir. Le roi répondit : industrieux Theuth, tel homme est capable d’enfanter les arts, tel autre d’apprécier les avantages ou des désavantages qui peuvent résulter de leur emploi ; et toi, père de l’écriture, par une bienveillance naturelle pour ton ouvrage, tu l’as vu tout autre qu’il n’est : il ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger Continuer la lecture de Socrate et l’écriture

Scio me nihil scire !

Voilà ce que disait Socrate, du moins quand il acceptait de parler latin. C’est Platon qui nous le dit : « Je sais que je ne sais rien.« 

Adage sympathique, plein de modestie et parfois mal compris. Voyons cela :

Tout d’abord, il ne faut pas s’arrêter au caractère oxymorique — je ne suis pas certain que ce mot existe vraiment —  sinon, on tombe dans l’abyme : en effet, si je sais que je ne sais rien, c’est que je sais au moins une chose (à savoir : que je ne sais rien), donc je ne peux pas dire que je ne sais rien, car si je ne savais rien, je ne saurais même pas que je ne sais rien.

Une autre utilisation erronée, ou même frauduleuse, de cette sentence serait de s’en servir pour se vanter de sa propre ignorance : Je suis comme Socrate : je ne sais rien. (sous entendu : et j’en suis fier !) Cette incommensurable idiotie a été proférée selon de multiples variations. Elle conduit tout droit à une croyance commune — notamment à toutes les formes de populisme, bien qu’elle n’en soit pas le seul chemin — sous-produit indésirable mais inévitable de l’esprit démocratique qui peut s’énoncer ainsi : « Mon ignorance est bien aussi bonne que votre savoir.« 

Non, Socrate ne pouvait pas penser de cette manière, ou alors Wikipedia ne lui aurait pas consacré autant de pages. D’ailleurs, on est Continuer la lecture de Scio me nihil scire !

Et Dieu dans tout ça ?

Voici un extrait de La République, de Platon, suivi de quelques commentaires personnels, acerbes et iconoclastes.

(…)
Glaucon : —Fort bien ; mais je voudrais justement savoir quels sont les modèles qu’on doit suivre dans les histoires concernant les dieux.
Socrate : —Ceci t’en donnera une idée ; il faut toujours représenter Dieu tel qu’il est, qu’on le mette en scène dans l’épopée, la poésie lyrique ou la tragédie.
Glaucon —Il le faut, en effet.
Socrate —Or, Dieu n’est-il pas essentiellement bon, et n’est-ce pas ainsi qu’il faut parler de lui ?
Glaucon —Certes.
Socrate —Mais rien de bon n’est nuisible, n’est-ce pas ?
Glaucon —C’est mon avis.
Socrate —Or, ce qui n’est pas nuisible ne nuit pas ?
Glaucon —Nullement.
Socrate —Mais ce qui ne nuit pas fait-il du mal ?
Glaucon —Pas davantage.
Socrate —Et ce qui ne fait pas de mal peut-il être cause de quelque mal ?
Glaucon —Comment le pourrait-il ?
Socrate —Mais quoi ! Le bien est utile ?
Glaucon —Oui.
Socrate —Il est donc la cause du succès ?
Glaucon —Oui.
Socrate —Mais alors le bien n’est pas la cause de toute chose ; il est cause de ce qui est bon et non pas de ce qui est mauvais.
Glaucon —C’est incontestable, dit-il.
Socrate —Par conséquent, Dieu, puisqu’il est bon, n’est pas la cause de tout, comme on le prétend communément ; il n’est cause que d’une petite partie de ce qui arrive aux hommes et ne l’est pas de la plus grande, car nos biens sont beaucoup moins nombreux que nos maux, et ne doivent être attribués qu’à lui seul, tandis qu’à nos maux il faut chercher une autre cause, mais non pas Dieu.
Glaucon —Tu me parais dire très vrai.
(…)
Socrate —Voilà donc la première règle et le premier modèle auxquels on devra se conformer dans les discours et dans les compositions poétiques : Dieu n’est pas la cause de tout, mais seulement du bien.
Glaucon —Cela suffit.
Socrate —Passons à la deuxième règle…
(…)

 « LA REPUBLIQUE » de Platon

 Ce dialogue extrait de La République m’inspire plusieurs remarques :

1-Pour quelqu’un qui n’aimait pas la rhétorique, qu’il disait mépriser et qu’il avait qualifiée d’art du mensonge, on doit reconnaitre qu’il ne la pratiquait pas mal du tout, le Socrate. Admirez comment, avec des questions purement rhétoriques (car on ne voit pas ce que ce Glaucon aurait pu répondre d’autre), il arrive à faire approuver sa conclusion par son béni-oui-oui d’interlocuteur.

2-Certains diront probablement qu’on a affaire ici, non pas à de la rhétorique, mais à de la maïeutique, cet art d’accoucher les esprits en leur faisant, par le jeu des questions, retrouver ce qu’ils savaient déjà sans en avoir conscience. Moi je pense que ce Glaucon (quand on s’appelle comme ça, le changement de nom devrait être automatique) ne savait rien de rien et que même la maïeutique n’aurait rien pu en tirer.

3-Tout le monde, enfin presque, sait que Socrate ne croyait pas aux dieux. C’est d’ailleurs sur ce fondement qu’il a été condamné à mort par la République Démocratique Exemplaire d’Athènes. Pourtant ce dialogue pourrait bien faire penser que Socrate était monothéiste. Je n’ai pas trouvé de réponse claire dans Wikipédia. Et je n’ai pas eu le courage d’aller la chercher dans tous les racontars de Platon.

4-A propos de Platon, il faut se rappeler que, dans toute cette histoire, c’est Platon qui raconte et que, s’il est possible que Socrate ne crût ni aux dieux ni à Dieu, ce n’était pas le cas de Platon.

5-Il est possible aussi que dans ce dialogue, Socrate ne veuille pas dire ce qu’est Dieu, mais seulement ce qu’il faut en dire dans « les discours et les compositions poétiques« . Si c’est le cas, et s’il ne croit pas en Dieu, on remarquera que Socrate fournit à Glaucon ce qu’on appelle aujourd’hui des « éléments de langage » propres à confirmer une thèse à laquelle il ne croit pas. Pour un homme dont l’un des héritages les plus connus est le fameux test de la vérité (les trois tamis), on est quand même en plein mensonge.

6-Je suis tout à fait conscient qu’il est ridicule et mal venu de vouloir émettre la moindre critique sur Socrate quand on est aussi ignorant que moi de la Philosophie, mais je trouve l’exercice amusant. Je sais aussi que je viens de m’engager sans arme ni bagage sur une terre inconnue (de moi). Je crois savoir enfin qu’elle est peuplée d’attentifs et susceptibles gardiens de la doctrine et que mon ignorance me vaudra, sinon des explications, du moins des remontrances et des quolibets.

7-Mais ça m’est bien égal parce que je sais aussi qu’il y a plus de choses dans Proust et dans Shakespeare, Horatio, que dans toute votre philosophie.

 

ET DEMAIN, LES VACHERIES DE JOUVET

Les Nuées – Aristophane – 423 avant J.C.

Morceau choisi

Avertissement.
Quand cette pièce a été donnée par Aristophane à Athènes, Socrate avait 47 ans. Les Nuées sont une comédie à charge contre Socrate et ses disciples. Le personnage principal, Strepsiade, recherche l’enseignement que Socrate donne dans son « philosophoir » et qui permet de gagner par l’éloquence même les causes injustes. Strepsiade finira par mettre le feu au philosophoir.

Les Nuées 
Philippide, fils de Strepsiade, dilapide l’argent de son père en chevaux de grande race et attelages somptueux. Pour les payer, Strepsiade s’est couvert de dettes. Dans cette scène, il demande à son fils d’aller suivre l’enseignement du « philosophoir » où exerce notamment Socrate. (1)      

(…)

STREPSIADE. Regarde de ce côté. Vois-tu cette petite porte et cette petite maison ?
PHILIPPIDE. Je les vois ; mais, mon père, qu’est-ce que cela veut dire ?
STREPSIADE. C’est le philosophoir des âmes sages. Là sont logés des hommes qui disent et démontrent que le ciel est un étouffoir, dont nous sommes entourés, et nous, des charbons. Ils enseignent, si on leur donne de l’argent, à gagner les causes justes ou injustes.
PHILIPPIDE. Qui sont-ils ?
STREPSIADE. Je ne sais pas exactement leur nom. Ce sont de profonds penseurs, beaux et bons.
PHILIPPIDE. Ah ! oui, les misérables, je les connais. Ce sont des charlatans, des hommes pâles, des va-nu-pieds, que tu veux dire, et, parmi eux, ce maudit Socrate et Chéréphon.
STREPSIADE. Hé ! hé ! tais-toi ! ne dis pas de bêtises. Si tu as souci des orges paternelles, deviens l’un d’eux, et lâche-moi l’équitation.
PHILIPPIDE. Oh ! non, par Dionysos ! quand tu me donnerais les faisans que nourrit Léogoras.
STREPSIADE. Vas-y, je t’en supplie, ô toi, l’homme le plus cher à mon cœur. Entre à leur école.
PHILIPPIDE. Et qu’est-ce que je t’y apprendrai ?
STREPSIADE. Ils disent qu’il y a deux raisonnements : le supérieur et l’inférieur. Ils prétendent que, par le moyen de l’un de ces deux raisonnements, c’est-à-dire de l’inférieur, on gagne les causes injustes. Si donc tu m’y apprenais ce raisonnement injuste, de toutes les dettes que j’ai contractées pour toi, je ne paierais une obole à personne.
PHILIPPIDE. Je n’y saurais consentir : je n’oserais pas regarder les cavaliers avec ma face jaune et maigre.
STREPSIADE. Alors, par Déméter, vous ne mangerez plus mon bien, ni toi, ni ton attelage, ni ton cheval. Je te chasse de ma maison et je t’envoie aux corbeaux.

PHILIPPIDE. Mon oncle Mégaclès ne me laissera pas sans monture. Je vais chez lui, et je me moque de toi.
STREPSIADE. Eh bien, moi, pour une chute, je ne reste point par terre. Mais j’invoquerai les dieux et j’irai moi-même au philosophoir. Seulement, vieux comme je suis, sans mémoire et l’esprit lent, comment apprendrai-je les broutilles de leurs raisonnements raffinés ? Il faut y aller. Pourquoi hésiter encore et ne pas frapper à la porte ?

(…)

Notes

1-Le Socrate mis en scène par Aristophane représente les Sophistes (2).

2-Sophistes (maîtres de sagesse) : professeurs d’éloquence, maîtres en rhétorique et en philosophie, qui vont de ville en ville pour enseigner l’art de parler en public et les moyens de l’emporter sur son adversaire dans une discussion.

3-En réalité, Socrate (470-399 avant J.C.) était en désaccord avec les Sophistes. Il leur reprochait, entre autres, leur utilisation de la démagogie pour vaincre dans les joutes oratoires, pendant que lui ne raisonnait que par argumentation à la recherche de la vérité.

ET DEMAIN, NOUS PRENDRONS UN PETIT CAFÉ SUR LA PIAZZA NAVONA