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My hero !

Morceau choisi

(…) Ce n’était pas le malabar qui m’intéressait. Ça n’avait jamais été lui, ça ne le serait jamais, et ça l’était encore moins là, maintenant.
J’étais sur Central Avenue, le Harlem de Los Angeles, dans un quartier « mélangé » où on trouvait encore des boutiques tenues par des Noirs et des Blancs. Je cherchais un petit barbier grec appelé Tom Aleidis dont la femme souhaitait le retour au bercail et était disposé à investir un peu d’argent dans ce but. Un boulot pépère. Tom Aleidis n’était pas un truand.
Le malabar était planté devant le Shamey’s, un rade cent pour cent noir situé en étage. Le type regardait comme en extase l’enseigne au néon délabrée au-dessus de sa tête. On aurait dit un immigrant d’Europe Centrale contemplant la Statue de la Liberté : un gars qui avait attendu ça toute sa vie, et qui avait fait un sacré chemin.
Il n’était pas seulement baraqué. C’était un géant. Il devait faire plus de deux mètres dix, et je n’avais jamais vu un Continuer la lecture de My hero !

L’histoire, on s’en fout

Pour illustrer la fameuse devise de mon auteur noir préféré, Raymond Chandler, devise selon laquelle « l’histoire on s’en fout, c’est le style qui compte », je vais vous livrer une anecdote tout à fait véritable sur son roman Le Grand sommeil, paru en 1939 et traduit en français par Boris Vian.

1946 – Howard Hawks est en plein tournage du  Grand Sommeil sur un scénario écrit par William Faulkner à partir du roman de Raymond Chandler. Un jour, l’équipe est immobilisée parce qu’on se demande comment tourner une certaine scène importante. Humphrey Bogart et Lauren Bacall attendent sur le plateau. Hawks envoie un télégramme à Chandler : « Prière indiquer qui a balancé le chauffeur de maître et la limousine au fond de l’eau. Urgent »
La réponse de l’auteur arrive par retour : « Je ne sais pas. »

Du feuilleton au roman, de la série au film

Un feuilleton policier fait rarement un bon roman. La suite au prochain numéro : l’effet repose là-dessus. Parce que les chapitres sont réunis en volume, ces moment de faux suspense deviennent simplement irritants.
Raymond Chandler – Lettres –  1962 – Christian Bourgois Editeur

Remplacez feuilleton policier par « série », n’importe laquelle, remplacez « roman » par « film » et vous aurez toujours une vérité.

Corriger Chandler ?

Morceau choisi
Raymond Chandler (1888-1959) est, avec Jim Thompson (1906-1977), l’auteur de romans noirs que je préfère. Ces deux auteurs ont des styles bien différents mais tous les deux tout à fait admirables. Celui du père spirituel de Philip Marlowe était caractérisé par sa précision, son ironie, sa psychologie, mais aussi par sa nonchalance et sa désinvolture. Le correcteur de la maison d’édition de Chandler était sans doute un peu trop pointilleux, car il avait attiré cette lettre sur la tête de son patron :

18 janvier 1948 , à Edward Weeks, The Atlantic Monthly
(…) Veuillez présenter mes devoirs au puriste qui lit vos épreuves et lui dire que j’écris une espèce de patois un peu comme la langue parlée par un maître d’hôtel suisse, et que lorsque je semble faire des fautes de grammaire, Nom de Dieu c’est exprès, et quand j’interromps le développement velouté de ma syntaxe plus ou moins élégante avec un mot ou deux de l’argot des bars, je fais ça les yeux grands ouverts, l’esprit tranquille mais sur le qui-vive. La méthode n’est peut-être pas parfaite, mais je n’ai pas mieux. Je trouve que votre correcteur est bien gentil de vouloir me remettre dans le droit chemin, mais je crois être capable de me diriger tout seul, à condition d’avoir les deux trottoirs et la chaussée à moi.
Raymond Chandler – Lettres – Christian Bourgois Editeur – 1970

Rien à dire

Le véritable écrivain n’a rien à dire. Il a seulement une manière de le dire.
A. Robbe-Grillet
Je me tue à vous le dire avec Raymond Chandler : l’histoire, on s’en fout ! Il n’y a que le style qui compte ! 
Oui mais, il y en a d’autres qui ne sont pas d’accord : 
La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire.
A. Schopenhauer

Conseils d’écriture

In writing a novel, when in doubt, have two guys come through the door with guns.
Quand vous écrivez un roman et que vous êtes dans le doute, faites franchir la porte à deux types avec des revolvers.

The faster I write the better my output. If I’m going slow, I’m in trouble. It means I’am pushing the words instead of beeing pulled by them.
Plus j’écris vite, meilleure est ma production. Si je vais lentement, j’ai un problème. Cela veut dire que je pousse les mots au lieu d’être tiré par eux.

Raymond Chandler (1888-1959)
Le Grand Sommeil – Adieu, ma jolie – La Grande Fenêtre – La Dame du lac – Fais pas ta rosière ! – Sur un air de navaja – Charade pour écroulés
+ un nombre invraisemblable de nouvelles, pas mal de scénarios.
Je vous recommande aussi sa Correspondance.

 

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Série Noire (Critique aisée n°75)

Série Noire

La Série Noire a soixante-dix ans. Une gamine. Voici ce que Marcel Duhamel disait en 1948 de la collection qu’il avait créée :
« …les volumes de la “Série noire” ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L’amateur d’énigmes à la Sherlock Holmes n’y trouvera pas souvent son compte. L’optimiste systématique non plus….L’esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu’ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n’y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?… Alors il reste de l’action, de l’angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre, etc… » (1)
Juste au moment où, vers l’âge de 13 ou 14 ans, après avoir délaissé les histoires du Grand Nord et du Grand Meaulnes, je n’en pouvais plus des petites cellules grises moustachues de l’horripilant Hercule Poirot, ni des déductions embrumées et méprisantes du suffisant Sherlock Holmes, je suis tombé sur un livre cartonné noir encadré de jaune. Il était debout sur le manteau de la cheminée de notre maison de Touffreville. Sa tranche disait : « Sur un air de navaja« . Il était encadré de livres semblables dont les titres : « La môme vert de gris » , « A tombeau ouvert« , « Cet homme est dangereux » étaient assez évocateurs pour attirer un adolescent qui s’ennuyait sous la pluie normande de Juillet. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c’est la navaja qui m’attira en premier. imagePeut-être était-ce parce que j’avais appris le nom de ce couteau dans une aventure de Tintin ou à cause du jeu de mots inclus dans le titre? Toujours est-il que c’est avec ce bouquin que j’entrai du même coup et pour la première fois dans la Série Noire et dans l’intimité de Philip Marlowe.
Ce fut une vraie découverte, comme plus tard Steinbeck et Maupassant ou, beaucoup plus tard, Proust et Houellebecq. (Car, j’ose le dire, on trouve parfois de purs chefs d’œuvre dans la Série Noire) Je ne pouvais plus quitter les détectives désabusés mais honnêtes, amateurs de whisky et de jolies filles, ni les policiers corrompus, ni les hommes d’affaires honteux, ni les crépuscules dorés de Los Angeles, ni la chaleur poussiéreuse de Caruso, Texas, ni le vent glacé de Chicago. Je découvrais Raymond Chandler, Chester Himes, Jim Thompson, Charles Williams.
Depuis quelques temps, la Série Noire a évolué, ou bien est-ce moi ? Les stéréotypes ont changé et je ne m’y reconnais plus. Alors je suis passé à autre chose. Mais l’exemplaire cartonné noir entouré de jaune de « Sur un air de navaja » (2) trône toujours sur ma cheminée de Champ de Faye entre « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » et  » La reine des pommes« . J’envisage de le relire un de ces jours, mais cela risque d’être fatal à sa reliure qui se décolle dans l’humidité de cette maison de campagne.
Note 1
Cette citation de Duhamel a été piquée dans Causeur, un magazine qu’en passant, je vous recommande.
Note 2
Le titre original de « Sur un air de navaja » est « The long goodbye ». En 1973, Robert Altman en avait tiré un excellent film, « Le Privé ». Pour interpréter le rôle principal, il avait choisi Elliot Gould, qui fut à cette occasion le meilleur Philip Marlowe que l’on ait jamais vu, bien meilleur même que Humphrey Bogart.