Archives par mot-clé : Proust

« Les souliers d’Oriane » ou « Vous reprendrez bien un peu de Proust ? »

Morceau choisi

Cet extrait est l’un des moments les plus cruels de « A la Recherche du Temps Perdu », roman qui n’en manque pas.

Les Guermantes s’apprêtent à se rendre à une soirée lorsque leur ami Swann vient déposer chez eux un objet promis à Oriane, duchesse de Guermantes. Au cours d’une brève discussion, Swann annonce qu’il est gravement malade et que ses jours sont comptés. La gravité de cette nouvelle n’émeut pas le moins du monde le duc de Guermantes tout à la préparation de la folle soirée mondaine qui s’annonce. Ce qui le préoccupe est que sa femme porte  des chaussures qu’il trouve mal assorties à sa robe rouge.

« Mme de Guermantes s’avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. « Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure », et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s’écria d’une voix terrible : « Oriane, qu’est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez Continuer la lecture de « Les souliers d’Oriane » ou « Vous reprendrez bien un peu de Proust ? »

¿ TAVUSSA ? (85) : Marcel Proust et le Nègre joyeux

Nous n’étions pas seuls l’autre jour au Musée Carnavalet. Il y avait du monde. Je ne n’ajouterai pas « et du beau » mais plutôt « et du vieux ». Et pour revenir sur la notion de quantité, je dirai aussi « trop de monde ». Tous ces gens, comme moi, étaient venus pour l’exposition temporaire « Marcel Proust, un roman parisien » organisée à l’occasion du centenaire de la mort du petit Marcel, et les autres étaient tellement plus nombreux que nous qu’ils nous ont gâché notre visite. Engoncés dans nos manteaux d’hiver, mal à l’aise de chaleur, nous circulions entre d’autres manteaux d’hiver, tentant de nous glisser entre eux et les murs pour essayer de consulter de minuscules portraits de Robert de Montesquiou ou des fac-simile de billets adressés par le petit Marcel à la Comtesse de Greffulhe. Une seule salle émouvante, presque vide : le lit de mort de Proust, sa chaise longue, un morceau du liège dont les murs étaient tapissés, sa pelisse, usée.
Mais, décidemment, trop de monde. Nous reviendrons pour le prochain centenaire.

L’expérience malheureuse m’aura permis au moins de faire deux observations : Continuer la lecture de ¿ TAVUSSA ? (85) : Marcel Proust et le Nègre joyeux

La fin du Temps

L’écriture n’est pas une  chose facile.
Elle n’était pas facile pour Gustave Flaubert. J’ai donné ici il y a longtemps un exemple des multiples écritures, corrections, ratures et réécritures du grand Gustave en reproduisant les versions successives d’un court passage de Madame Bovary. (voir l’article  ‘Flaubert au travail’)
Elle n’était pas facile non plus pour le petit Marcel. La preuve, voici la dernière page du manuscrit du Temps Retrouvé, dernier volume de l’énorme roman À la Recherche du Temps Perdu.

et voici le texte qui correspond à cette page : Continuer la lecture de La fin du Temps

Un diner de promo

Morceau choisi

Il y aura bientôt cinq ans, le 29 avril 2017, j’assistai à un dîner qui réunissait les anciens élèves de ma promotion de l’école des Ponts et Chaussées. Il s’agissait de la promotion 1966, c’est dire si aucun d’entre nous n’était vraiment neuf.
Quand la salle de restaurant fut pleine de mes congénères, la vision d’une abondance de crânes chauves, de barbes grises et de gilets de laine tricotés-main commença par réjouir mon esprit taquin. Mais elle m’inspira bientôt d’autres sentiments car, ce soir-là, pour la première fois, je réalisai l’âge avancé que nous avions atteint.

L’un des plaisirs sans cesse renouvelé que procure la lecture de Proust, c’est celui de constater que, nous aussi, un jour, nous avons éprouvé le sentiment qu’est en train de décrire le petit Marcel.
Et, le petit Marcel en est conscient. La preuve, voici ce qu’il écrit dans Le Temps retrouvé : Continuer la lecture de Un diner de promo

Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Lorenzo

La page de 16h47 est ouverte…*


Comme vous l’avez compris, je l’espère, les textes en gras sont l’incipit et l’excipit d’ À la recherche du temps perdu, et ce qui est entre les deux est de Lorenzo.

 

A la recherche du sommeil perdu

Longtemps, je me suis couché de bonne heure, 
mais, à la grande désolation de ma mère, je ne m’endormais jamais avant que ne s’inscrive sur la montre gousset en or massif de cinquante carats de chez Gaeger-le-Coultre, offerte pour l’anniversaire de mes dix ans par mon oncle Philippe, le chiffre fatidique « minuit » annonçant le passage tant redouté à un jour suivant et différent. Ma mère, que le petit personnel avait surnommée affectueusement Lariégeoise, convaincue que mes difficultés d’endormissement nuisaient à mes performances scolaires au Lycée Condorcet où j’étais entré en sautant une classe grâce à ce que certains Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Lorenzo

Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Philippe

La page de 16h47 est ouverte…*


Comme vous l’avez compris, je l’espère, les textes en gras sont l’incipit et l’excipit d’ À la recherche du temps perdu, et ce qui est entre les deux est de Philippe

Longtemps, je me suis couché de bonne heure,
vers les sept heures, sept heures trente. La plupart du temps, je m’endormais sans difficulté, presque immédiatement, pour me réveiller sur les coups de trois heures du matin sous l’effet d’un besoin naturel de satisfaire une envie pressante. Alors, en vêtement de nuit, malgré l’obscurité la plus totale qui régnait dans notre maison et grâce à la parfaite connaissance que l’habitude m’en avait donnée, je franchissais sans difficulté les quelques mètres qui me séparaient des lieux d’aisance. Ceci fait, et une fois de retour dans ma chambre, j’allumais enfin ma chandelle et me consacrais à ma collection d’aiguilles de pin d’Alep jusqu’à ce qu’immanquablement, à sept heures précises, Françoise m’apportât mon petit déjeuner. 

Un matin de novembre, je trouvai, appuyée  contre la théière d’argent Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec l’Entre-deux selon Philippe

Retour de Campagne (39) Jeu de l’ Entre-deux.

Retour de Campagne (39)

N.B. Pour simplifier la tâche des typographes du JdC, le titre « Retour de Campagne » sera remplacé dès demain par « Rendez-vous à cinq heures ». Pas trop tristes ?

Jeu de l’Entre-deux 

Avec ce jeu, on va compliquer un peu les choses. On va imposer et l’incipit et l’excipit. 

Autrement dit, il va vous falloir remplir de façon logique et, si possible, surprenante l’espace compris entre l’incipit de Du côté de chez Swann, premier volume de la Recherche du temps perdu et l’excipit du Temps retrouvé, son dernier volume.

Entre les deux, Marcel avait écrit 3000 pages. Vous n’êtes pas obligé d’en faire autant. Mais, à mon avis, il y a de quoi faire. Vous avez une semaine. Mais c’est bien parce que c’est Noël.

*

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. 

…………

Mais c’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver : on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s’ouvre. »

Proust au Ritz

Marcel Proust était un habitué de l’hôtel Ritz. Il y venait souvent y diner seul.

Il y occupait également un appartement dans lequel il donnait des réceptions, des concerts, des auditions musicales et des diners.

Quand il recevait à diner, il arrivait souvent qu’il prenne son propre repas avant l’arrivée de ses invités. C’était dans le but de se rendre plus disponible pour converser avec ses amis.

La journée, il passait des heures dans le grand hall. Il se plaçait toujours au même endroit , dans un fauteuil qu’il avait choisi pour Continuer la lecture de Proust au Ritz

Legrandin ou « Comment éviter de rendre service »

Cette scène est extraite de « Du côté de chez Swann ». Elle met en scène Monsieur Legrandin, ingénieur, poète au langage fleuri, qui au premier abord impressionne fortement le narrateur. Mais un peu plus tard, il se rendra compte, dans une autre scène, que Monsieur Legrandin est un snob de la plus belle espèce, et dans celle-ci, qu’il est prêt à tout dire pour éviter d’avoir à introduire quelqu’un auprès de sa sœur, qui a épousé un petit noble de la région de Balbec.
Cet extrait est pour moi absolument exemplaire de la façon dont le petit Marcel décrit l’hypocrisie de ses personnages.
Quand la scène commence, Legrandin, qui est en train de décrire les beautés de la Côte d’Opale, prononce le nom de Balbec, station balnéaire où doit bientôt se rendre le narrateur en vacances.

— (…) De Balbec surtout, où déjà des hôtels se construisent, superposés au sol antique et charmant qu’ils n’altèrent pas, quel délice d’excursionner à deux pas dans ces régions primitives et si belles

— Ah! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.

Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde Continuer la lecture de Legrandin ou « Comment éviter de rendre service »