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La mort de César

C’est aujourd’hui le 2061ème anniversaire de la mort de Jules César. Recueillons nous.

Voici l’un des textes historiques les plus beaux et les plus dramatiques que je connaisse. Ecrit il y a 1900 ans, un peu plus d’un siècle après les faits, Plutarque rapporte ici les circonstances d’un évènement historique qui, plus certainement que la longueur du nez de Cléopâtre, a changé la face du monde, l’assassinat de Jules César.
Admirez l’extraordinaire simplicité du style, sa précision, sa densité, son rythme. On y est, en plein milieu de la scène. D’autant plus que ça se passe à Rome, dans le Théâtre de Pompée.
Nul doute que Shakespeare et les créateurs de la formidable série « Rome » connaissaient ce texte par cœur.

Lorsque César entra, les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur. Quant aux complices de Brutus, les uns se rangèrent en cercle derrière le siège de César et les autres allèrent au devant de lui comme pour joindre leurs prières à celles de Tullius Cimber, qui demandait le rappel de son frère exilé ; et ils le prièrent en l’accompagnant jusqu’à son siège. Une fois assis, il essaya de repousser leurs prières et comme ils le pressaient plus vivement, se fâcha contre chacun d’entre eux. Alors Tullius saisit sa toge à deux mains et la tira en bas du cou, ce qui était le signal de l’attaque. Casca le premier le frappe de son épée à la nuque, mais le coup n’était pas mortel ni profond, troublé qu’il était, naturellement, de commencer un si grand coup d’audace. Aussi César, se tournant vers lui, put-il saisir l’épée et arrêter son bras. Ils s’écrièrent tous deux en même temps, celui qui avait reçu le coup en latin : « Scélérat de Casca, que fais-tu ? », et celui qui l’avait donné, en grec, à l’adresse de son frère : « Mon frère, au secours ! » L’affaire ainsi lancée, tous ceux qui n’étaient pas dans le secret du complot furent saisis d’horreur et parcourus d’un frisson devant ce qui se passait, incapables d’oser ni prendre la fuite ni défendre César ni même proférer une parole. Cependant les conjurés ayant tiré chacun leur épée, César, encerclé de tous côtés, ne rencontrait, où qu’il portât le regard, que des épées qui le frappaient aux yeux et au visage, telle une bête sauvage traquée, et se débattait, balloté entre toutes les mains armées contre lui, car tous devaient avoir leur part au sacrifice et goûter à ce sang. Aussi Brutus lui même porta-t-il un coup à l’aine. Alors, selon certains, César, qui se défendait contre les autres et se jetait ici et là en poussant de grands cris, lorsqu’il vit Brutus l’épée dégainée, se couvrit la tête de sa toge et se laissa tomber, poussé par le hasard ou par ses meurtriers, sur le piédestal de la statue de Pompée. Il l’inonda de son sang, si bien qu’il semblait que Pompée présidât à la vengeance qu’on tirait de son ennemi, étendu à ses pieds et palpitant sous l’avalanche des blessures. On dit en effet qu’il en reçut vingt-trois et plusieurs des conjurés se blessèrent mutuellement en infligeant à un seul homme tant de coups.

Plutarque – Vies parallèles