(…) Avec des gestes rapides mais précis, elle découpa la jupe, l’ôta du goulot et enfonça le sommelier dans le bouchon. Quand elle l’eut extrait sans un bruit, elle porta le bouchon près de son nez. Nous étions silencieux, attentifs, recueillis. Nous nous attendions à devoir désigner celui de nous trois qui devrait procéder avec componction à la première dégustation du Barolo et, après les simagrées d’usage, autoriser la sommelière à nous servir. Mais la jeune femme saisit de sa main gauche le verre qu’elle avait placé au milieu de la table et, de sa main droite, elle renversa la bouteille à la verticale au-dessus du verre, faisant glouglouter vivement le vin dans le goulot.
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J’avais déjà eu l’occasion d’observer cette énergique méthode de verser le vin dans un restaurant parisien connu pour le prix littéraire qu’on y décerne chaque année. Le sommelier à qui j’en avais fait la remarque m’avait assuré que c’était une excellente façon d’aérer le produit. Soit ! Notre sommelière aérait le produit. Elle l’aéra même en une telle quantité, que j’estimai alors à une quinzaine de centilitres, que le cinquième du contenu de la bouteille se trouvait à présent dans son verre. Tous les trois, ébahis, nous regardions faire la spécialiste. Elle porta le vin à ses lèvres, en but très peu, fit toutes les grimaces qui sont d’usage quand il s’agit de gouter un vin et prononça comme pour elle-même deux mots que je reconnus sans peine : è buono. Puis, changeant de ton, elle lança vers le fond de la salle quelque chose comme : « Eh ! Alfredo ! … blablabla… Barolo ! »
Un homme apparut dans l’encadrement de la porte de la cuisine. C’était Alfredo, sans aucun doute, le patron de l’établissement : plutôt enveloppé, petit et rond, moustachu vif et souriant, il me fit penser au regretté Dario Moreno. Sur un pantalon noir, il portait Continuer la lecture de La cena di Pisa (2/2)