Beuzeville est une commune située dans le département de l’Eure. Elle compte à peine plus de 4.000 habitants. Elle ne possède aucun monument historique et aucun évènement notable ne s’y est jamais déroulé. On ne connait pas de sculpteur, de savant, d’homme politique ou de star de cinéma qui y soit né. Moi-même, je crois bien n’y être jamais passé. La seule particularité de ce trou normand, c’est le panneau routier éponyme qui annonce la gare de péage de l’autoroute de Normandie et qui fait que ce nom sonne peut-être familièrement à vos oreilles.
Moi, je n’ai rien contre la commune de Beuzeville, ni pour d’ailleurs. A vrai dire, je me fous totalement de Beuzeville. Alors pourquoi, me direz-vous, inclure le nom de cette banale bourgade dans le titre de ce qui s’annonce comme une nouvelle et brillante série dont ce Journal a le secret ?
Eh bien, voilà : en fait, tout est dans la phonétique… Beuzeville : répétez donc ces trois syllabes trois ou quatre fois et vous comprendrez. Beuzeville, Beuzeville, Beuzeville… Est-ce que cette sonorité n’évoque pas pour vous la France profonde, agricole et raisonnable, la France douce, pleine de bon sens et résignée, celle qui ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive et qui voudrait bien revenir un petit peu en arrière, s’il-vous-plait ?
Pour vous je ne sais pas, mais pour moi, c’est ça.
J’ai donc choisi Beuzeville comme point de départ d’une correspondance à sens unique entre une Beuzevillaise et son fils parti à la ville.
En voici la première lettre de Beuzeville :
Beuzeville, aujourd’hui
Mon cher fils,
Je t’écris ces quelques lignes pour que tu saches que je t’écris. Alors, si tu reçois cette lettre, c’est qu’elle est bien arrivée. Si tu ne la reçois pas, préviens-moi pour que je te la renvoie.
Je t’écris lentement parce que je sais que tu ne lis pas très vite.
En ce moment, ici, le temps n’est pas trop mauvais : la semaine dernière il a plu seulement deux fois. La première fois la pluie a duré trois jours, et la deuxième fois quatre.
Il faut que je te dise que ta sœur Julie, celle qui s’est marié avec son mari, elle a enfin mis au monde, mais on ne sait pas encore le sexe. Je ne saurais pas te dire si tu es oncle ou tante. Si c’est une fille, ta sœur va l’appeler comme moi. Ce sera quand même étrange d’appeler sa fille « maman ».
Je dois maintenant te quitter car j’arrive au bout de mon crayon. De toute façon, je n’avais plus rien d’intéressant à te dire. La prochaine fois, s’il se passe des choses intéressantes au village, je t’écrirai au Bic.
Ta maman qui t’embrasse très fort et toi de même.