Archives par mot-clé : Julien Green

Le monde extérieur existe-t-il ?

Morceau choisi

8 septembre 1933
Je me demande souvent quel peut être le sens de la vie, si elle en a un, et surtout dans quelle mesure le monde extérieur existe. Que veut dire, par exemple, l’inquiétude de l’Europe à l’heure présente, la fièvre allemande, l’angoisse de tant d’hommes et de femmes à qui le lendemain apparaît noir de menaces ? Il est évident que personne ne peut répondre à cette question, mais j’ai souvent l’impression fugitive de vivre au milieu d’un monde qui n’existe pas, ou qui n’existe pas de la manière que nous imaginons. Peut-être le monde matériel n’a-t-il qu’une valeur de symbole. Cette idée m’est familière depuis ma quinzième année. Ainsi, l’inquiétude universelle est peut-être la représentation imaginaire de ta propre inquiétude. La « crise » est d’abord en toi. Le désordre du monde correspond à un désordre intérieur que tu retrouves en toi.

Julien Green
Journal. Les années faciles.

Optimisme

Morceau choisi
27 avril 1929
Plon m’offre un contrat qui m’engagerait pour quinze ans. Que de guerres et de révolutions auront balayé les contrats avant 1945 ! C’est déjà beaucoup de vivre cinq ans, dix ans sans grand dommage. Loin d’empoisonner ma vie, cette pensée qui me quitte rarement donne à l’heure présente une saveur extraordinaire. Tout projet d’avenir me parait de plus en plus futile. Mais faisons comme si tout était solide et travaillons jusqu’à ce que tout s’écroule.
Julien Green
Les années faciles. Journal

Note de l’éditeur :
Lorsque Green a écrit ces lignes, il avait vingt-neuf ans. Il est mort soixante-neuf ans plus tard, à l’âge de quatre-vingt dix-huit ans. Comme on peut se tromper !

La beauté du monde

Morceau choisi

26 mai 1934

Comment dire la beauté du monde ? Il y a des jours où j’en suis accablé comme d’un poids énorme. Sous tous ses aspects, elle me ravit. Autrefois, je ressentais cela si vivement que la mort m’apparaissait (cela est horrible à dire) comme une sorte de délivrance de la joie, de même que la maladie, selon Michelet, est une convalescence à rebours et la mort une espèce de guérison de la vie.

Julien Green
Les années faciles. Journal