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Le sablier du Jardin des Plantes

Le sablier du Jardin des Plantes
Par Paul Delcampe

Dans l’allée centrale du Jardin des Plantes, un monument de verre en forme de cube a été installé pour l’an 2000. Il fait huit mètres de côté, avec un premier étage chargé de quelques tonnes de sable. C’est un sablier. Mais son sable ne s’écoule pas. Deux panneaux décrivent la complexité du chef d’œuvre en un texte volumineux dont j’ai noté quelques bribes :

 » l’artiste cherche à provoquer chez l’observateur l’intuition du temps présent. Ce présent du présent qui selon Saint Augustin serait proche de l’Eternité, …la tenue de 40 tonnes que supporte la partie supérieure n’a été possible que par l’apport de 20 mètres cubes d’un béton résistant, et les orifices d’écoulement ont été scientifiquement calibrés par une réunion d’experts, une expérimentation fascinante…dans cette insidieuse et troublante réalité de l’être-temps de maitre Dogen « 

Je me retourne, le sable n’a pas bougé. Et pourtant, d’après Continuer la lecture de Le sablier du Jardin des Plantes

Un petit carré de terre

Notre dernier atelier d’écriture de l’année 2013-2014 s’est tenu très agréablement, tout d’abord dans le cadre du Jardin des Plantes pour s’achever ensuite autour de l’une des tables de cuivre du salon de thé de la Mosquée de Paris. Ce jour-là, le thème de l’exercice était de décrire un espace limité dans un style objectif, donc impersonnel, épuré, c’est à dire squelettique. C’est ainsi que l’on a pu voir, dispersée dans ce beau jardin, une petite dizaine de personnes, habituellement raisonnables, écrire pendant quarante-cinq minutes en regardant un petit carré de sol entre leurs pieds.
Voici ce que fût mon carré :

Un carré au Jardin des Plantes

Le carré est au sol, qui est plan et irrégulier.
Les deux tiers de la surface, qui forment un premier rectangle, sont occupés par de la terre, une terre brune, sombre, humide.
Sa couleur n’est pas uniforme. Une multitude de petits objets y sont posés ou incrustés. Ils forment sur la couleur brune de la terre des taches blanches, ou argentées ou marron plus foncé ou de plusieurs nuances de jaune.
Dispersées et orientées au hasard sur le sol du premier rectangle, ce sont de très petites aiguilles de pin qui forment ces taches jaune foncé. Une autre tache, nette, rectangulaire et jaune vif tranche avec la couleur sombre de la terre et les formes irrégulières des autres taches: c’est le filtre d’une cigarette. Juste à côté, dans la prolongation du rectangle jaune vif, un rectangle très blanc, plus petit, terminé par une vague frange noire complète le mégot. Un caillou, petit silex taillé en triangle est d’un autre jaune, presque blanc, avec un éclat bleu dans un angle. Tout en bas du premier rectangle, presque en dehors, un C majuscule couché, couleur argent mat, est ce qui reste de la languette d’ouverture d’une boîte de soda sucré et caféiné. Trois morceaux d’écorce marron foncé tombés du grand pin en surplomb forment le seul relief de ce premier rectangle.

Le deuxième rectangle occupe le tiers restant du carré. Il est  couvert de galets à demi enfoncés dans le sol. Les galets sont gris, ou gris bleu, ou gris blanc. Ils ne sont pas jointifs et les espaces qui les séparent sont remplis de cette même terre qui occupe le premier rectangle du carré. Mais cette terre, plus sèche, est d’un marron plus clair. Elle comporte presque les mêmes taches que la terre du premier rectangle. Comme dans le premier carré, il y a, dans les interstices des galets, une multitude d’aiguilles en désordre. Il y a aussi quelques graviers. Ils sont plus petits que le caillou en silex taillé; ils ont des formes arrondies. Une tache jaune dentelée entre deux graviers ressemble à un papillon; c’est une feuille morte. Un parfait petit cylindre blanc, d’un centimètre de longueur et d’un millimètre de diamètre est d’une origine indéterminée.

La lumière de la fin de l’après-midi éclaire le rectangle aux galets. Elle filtre à travers des feuilles d’un buisson agité par le vent et change leurs couleurs qui  passent du gris sombre au gris clair ou gris bleu. Le vent vient d’apporter une nouvelle pièce entre deux galets: un fragment de papier jaune qui porte les lettres noires M, B, A, et R.

Et maintenant, comme disait mon père, laissons un peu flotter les rubans ! Et en avant la subjectivité, la métaphore le lyrisme et, pourquoi pas,  l’anthropomorphisme !

Mais le temps s’est assombri et le vent du Nord a emporté les feuilles mortes (…ho ! je voudrais tant que tu te souviennes…). Il est venu bouleverser le tableau hétéroclite de mon carré du Jardin des Plantes, le rendant aussi éphémère que les rides à la surface d’un étang de novembre. Bien sûr, les galets arrondis, tels les bosses d’une carapace de tortue, les graviers aussi inutiles que ceux du Petit Poucet, et les aiguilles collées au sol, semblables aux aiguilles d’un jeu de mikado renversé, restaient sagement en place. Mais les objets les plus légers étaient fugitivement remplacés par d’autres, puis par d’autres encore. Par la force des choses et le jeu des pressions atmosphériques, une nouvelle œuvre abstraite se composait devant mes yeux étonnés et incrédules. Je sentais pourtant monter en moi un sentiment de frustration mêlé d’agacement et même de colère. Ma description bénédictine, mon état des lieux notarial était désormais périmé, inutile comme une prévision météorologique de la veille.
Alors, en huissier consciencieux, j’ai repris mon syntagme figé et mon courage à deux mains et j’ai recommencé le procès-verbal de mon constat.