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La Princesse, l’Ours et le Chasseur

Il y a un peu plus de huit ans, sous le prétexte de faire une critique cinématographique, j’avais entrepris de raconter ma rencontre avec Grace Kelly, alors princesse de Monaco. Cette rencontre a eu lieu en 1978. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de faire semblant de parler cinéma pour évoquer cette rencontre hors de l’ordinaire. C’est le cadeau que je me fais pour mon anniversaire.

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Tout le monde, du moins je l’espère, tout le monde a déjà vu « Fenêtre sur cour« .

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Ces derniers temps, la télévision spécialisée l’a repassé régulièrement en version « longue ». Cette appellation est ridicule car, de ce film, il ne peut y avoir  que des versions trop courtes.
Bien qu’il soit, avec La Prisonnière du Désert et La Règle du Jeu, celui que j’ai vu le plus grand nombre de fois, je l’ai regardé à nouveau, deux fois. J’ai beau Continuer la lecture de La Princesse, l’Ours et le Chasseur

La Princesse, l’Ours et le Chasseur – Critique aisée 13

Fenêtre sur Cour. Alfred Hitchcock

Tout le monde, du moins je l’espère, tout le monde a déjà vu « Fenêtre sur cour ».
Ces derniers temps, la télévision spécialisée l’a repassé régulièrement en version « longue ». (Cette appellation est ridicule car il ne peut pas y avoir de version « longue » de ce film, il ne peut y avoir que des versions trop courtes.)
Bien que ce film soit, avec La Prisonnière du Désert et La Règle du Jeu, celui que j’ai vu le plus grand nombre de fois, je l’ai regardé à nouveau, deux fois. J’ai beau connaître chaque plan, chaque réplique, chaque ensemble porté par Lisa Carol Fremont, j’ai beau connaître la vie de chaque personnage de cette cour miraculeuse, le pianiste, la danseuse, les jeunes mariés, la femme esseulée, le couple au chien, je suis pris à chaque fois. Avec L.B. Jefferies, j’attends, je suis Jeff. Dans mon demi-sommeil de convalescent, dans la chaleur de l’été new yorkais, j’attends la visite de Lisa. Et quand elle apparait, quand elle sort de l’ombre et du flou de mon demi-rêve, quand son visage se précise en se rapprochant du mien, alors elle est si belle, si douce et si aimante que j’en ai presque les larmes aux yeux.
Et puis, le cinéma reprend ses droits, la caméra devient objective, le gros plan change et on voit de profil les visages de Grace Kelly et de James Stewart se rapprocher pour un tendre baiser. À ce moment, les cinéphiles ne pourront pas ne pas remarquer le très léger ralenti, le très léger saccadé du mouvement qui les rapproche. Je n’ai jamais pu analyser ni vraiment comprendre les raisons de ce choix de réalisateur, ni lire quoi que ce soit qui puisse me l’expliquer, mais cet effet si spécial et si discret, presque subliminal, donne à cette scène de baiser, en principe ultra-classique, une très grande originalité et un aspect féérique. Le beau chevalier endormi est réveillé de son sommeil de cent ans par le baiser de la princesse charmante.
Il n’est vraiment pas souhaitable que je raconte la suite du film. Je ne ferais que l’abimer.
Voyez le, regardez-le, décortiquez le. Appréciez les aphorismes gouailleurs de l’infirmière, les toilettes et les accessoires du top model, les fétiches du grand-reporter, les humeurs du pianiste, celles de la danseuse et tous les détails minuscules qui font vivre les micro-personnages dans le petit tableau de leurs fenêtres accrochées au mur de la cour.
Fenêtre sur Cour est une pièce de théâtre, une comédie de mœurs, une présentation de mode, un film à suspense, un film parfait, qui se boucle sur lui-même avec sa dernière image qui vous invite à reprendre l’histoire à son début.

Marchais est un village de l’Aisne, à quelques kilomètres à l’Est de Laon. En 1975, une aile du château de Marchais a brûlé, laissant cependant la vie sauve à sa propriétaire, Charlotte Grimaldi de Monaco, mère du Prince Rainier III.
Un an plus tard, les assureurs, courtiers et experts qui avaient participé au règlement du dossier d’indemnisation furent invités par le Prince pour une chasse sur le domaine de Marchais. Je fis partie de la bande.
Le grand jour approchait. Nous avions fourbi nos armes, nos voitures et nos habits de chasse. On nous avait instruits de la façon de s’adresser au Prince : Monseigneur, etc…Nous étions une dizaine. Lorsque nous nous retrouvâmes le fameux matin dans la cour du château pour un dernier briefing, le chef du protocole nous apprit que la Princesse Grace avait tenu à participer à cette journée de chasse, accompagnée de sa fille Stéphanie. Elle nous retrouverait à la dernière battue du matin pour déjeuner avec nous. Il nous fut précisé que la formule d’appel pour lui adresser la parole était simplement « Madame ».
Je n’osais pas croire à cette chance extraordinaire qui allait m’être donnée de rencontrer non pas une princesse régnante, mais la jeune mariée du Train Sifflera Trois Fois, la riche héritière de High Society et l’amoureuse de Fenêtre sur Cour, lui parler cinéma, la faire rire peut-être…
Le Prince arriva enfin, accompagné d’une petite fille brune et vive et d’un grand bonhomme. C’était Stéphanie et son garde du corps. Il était dix heures du matin. Les présentations furent faites rapidement et la chasse pût commencer.
Rainier me faisait penser à un gros ours, doux et taciturne. Plusieurs fois au cours de la chasse, je me trouvais placé à côté de lui, et je pu constater que c’était un excellent tireur. Ayant réussi en sa présence un magnifique « coup du roi », j’eu même droit à ses félicitations. Poursuivant la conversation qu’il avait lui-même engagée, banalement je lui demandai :
-« Monseigneur, est-ce que vous venez souvent chasser ici?
-Non, deux ou trois fois seulement dans l’année. »
Après un petit temps de silence il poursuivit:
-« Ici, c’est chez ma mère, vous savez, alors on ne peut pas faire ce qu’on veut…  »
Nouveau silence:
-« J’ai une autre chasse en Sologne, avec un ami. Là, on peut s’amuser… »
Je n’étais pas certain de comprendre ce qu’il entendait vraiment par « s’amuser », et ne le sus jamais, car la battue reprit.
Vers midi et demi, Grace Kelly (je n’arrive pas à penser à elle comme Madame Grimaldi) nous rejoint à la fin de la quatrième battue dans une Range Rover aux armes de la principauté. Les présentations sont faites dans une allée en sous-bois devant les faisans alignés sur le sol.
Elle a quarante-six ans. Dans sa très simple tenue de chasse, elle est simplement magnifique. Elle dit quelques mots, je ne sais plus lesquels. Nous rentrons, ébahis, à pied vers le château qu’elle rejoint en voiture. De là, nous repartons en caravane derrière la Range-Rover. Nous traversons le village de Marchais dont les habitants se découvrent et saluent au passage du convoi. Nous arrivons bientôt dans une auberge de campagne réservée pour cette occasion. Le chef du protocole prend discrètement les choses en main et nous assigne nos places à table. En tant que plus jeune et moins important des invités, je suis placé loin de la Princesse, et, de surcroît, du même côté de la table qu’elle, ce qui fait que, pour la voir, je devrai me pencher impoliment devant mon voisin de gauche. Par contre, j’ai une un très bonne vue sur Rainier, qui ne dira pas grand-chose de tout le déjeuner, et sur Stéphanie, qui ne cessera de discuter à mi-voix et de rire avec son garde du corps.
La préséance a placé de part et d’autre de la princesse l’assureur, l’homme le plus timide de notre groupe, et le courtier, que je connais pour avoir chassé plusieurs fois avec lui. Depuis longtemps, je l’ai surnommé Tartarin de Tarascon, car il ne parle que de chasse et de pêche, avec une forte tendance à insister sur la taille de ses prises et la férocité de ses gibiers. J’imagine les murs de son salon couverts de massacres, de photographies d’Afrique et de râteliers à fusils, et son parquet garni de peaux de bêtes à gueules ouvertes. Il fait partie de ces gens qui sont persuadés que leur secrétaire, leur chauffeur, leur moniteur de ski, leur guide de chasse, le barman du Ritz, et même leur chien, les aiment, et vont le répétant à toute occasion. D’où je suis, en me penchant de temps en temps, j’arrive à voir que Tartarin a entrepris Grace. Il parle, il parle, cet abruti, peut-être de ses exploits et la princesse acquiesce en souriant doucement. Je suis furieux et mortifié. Je hais Tartarin qui, tout en frétillant de la moustache, se rend ridicule et nous rend ridicules aux yeux de cette femme sublime qui ne peut que s’ennuyer auprès de ce goujat.
Le repas se termine, la princesse se lève avant qu’on ne serve le café. Nous nous levons aussi. Elle se déclare désolée de devoir nous quitter déjà. Elle est heureuse d’avoir passé ce déjeuner si agréable en notre compagnie. Sans doute pour couper à de fastidieux au-revoir individuels, elle quitte la salle immédiatement, suivie par sa fille, le garde du corps et le prince Rainier qui la raccompagne à sa voiture.
Le silence règne maintenant dans la salle à manger de l’auberge, puis, les conversations reprennent petit à petit, et j’entends Tartarin qui s’adresse à l’assureur timide :
– » Elle m’adore !  »
A la prochaine battue, je le tuerai.

871-CINEMATOQUIZ 2