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Roaring twenties

Morceau choisi

Je crois vous avoir dit que je me trouvais récemment en Europe. En fait, ce n’était pas la première fois. J’y étais déjà allé il y a de nombreuses années avec Ernest Hemingway.

A l’époque, il venait d’écrire son premier roman. Gertrud Stein et moi l’avons lu. On lui a dit que c’était un bon roman, mais pas un grand roman, qu’il avait besoin d’être travaillé et que ça pouvait alors devenir pas mal du tout. On en a ri. Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

Cet hiver-là, Picasso vivait rue du Bac. Il venait de terminer un tableau représentant une assistante dentaire, nue au milieu du désert de Gobie. Gertrud Stein a dit que c’était un bon tableau mais pas un grand tableau. J’ai dit que ça pouvait être pas mal du tout. On en a ri. Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

Je me souviens aussi de Scott et de Zelda Fitzgerald qui venait de rentrer de leur réveillon du nouvel an. C’était en avril. Scott venait d’écrire « Les Grandes Espérances ». . Gertrud Stein et moi l’avons lu. On lui a dit que c’était un bon livre, mais qu’il n’avait pas besoin d’être retravaillé car Charles Dickens l’avait déjà fait. On en a ri. Et Hemingway m’a mis son poing dans la gueule.

On est allé ensuite en Espagne pour voir toréer le grand Manolete. Il m’a semblé qu’il avait dix-huit ans, mais Gertrud Stein m’a dit que non, il avait dix-neuf ans mais en paraissait seulement dix-huit. Je lui ai alors fait remarquer qu’un garçon de dix-huit ans pouvait en paraitre dix-neuf et qu’un garçon de dix-neuf ans pouvait en paraitre dix-huit ; c’était comme ça avec les vrais espagnols. On en a ri. Et Gertrud Stein m’a mis son poing dans la gueule.

Et puis la guerre est arrivée. Hemingway est parti en Afrique pour écrire un livre, Gertrud Stein a emménagé avec Alice Toklas, et moi, je suis rentré à New York pour consulter mon orthodontiste.

(Retranscription d’un sketch de 1965 de Woody Allen)