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Marion, Séverin et moi

Dix-huit heures, il est l’heure de préparer le dîner. Je jette un œil à Marion qui reste impassible au milieu de la cuisine. Je saisis dans mon frigo quelques poireaux, je tourne, je vire, attrape couteaux et ustensiles. Et Je me lance à les émincer sur la planche à découper en verre alors que Séverin m’observe de l’autre bout de la pièce. Je remplis ma bouilloire puis l’installe sur son socle de chauffe. Je farfouille dans mon congélateur et y déniche un complément à mon repas du soir improvisé, qui me laisse songeuse.

Je me retourne les mains chargées, m’avance d’un pas et bouscule légèrement Marion. En guise d’excuses, je lui adresse une petite moue et un haussement de sourcil. Je confie à Séverin ma trouvaille congelée et reviens à mes poireaux émincés. D’un mouvement de tête, je demande à Marion si je peux ajouter quelques carottes à ma préparation. Je n’attends pas de réponse car je sais que, comme chaque fois, elle restera dubitative et sans avis.

Dans mon dos j’entends la respiration régulière de Séverin. Je sais qu’il me préviendra quand il aura fini sa tâche. Sa rigueur est à toute épreuve.

Cela fait déjà quelques temps que je partage ma cuisine avec Marion et Séverin. Malgré la faible superficie des lieux, je suis loin de me sentir à l’étroit car chacun garde respectueusement sa place : Severin sur le meuble blanc et Marion à côté de la gazinière. Je dois me rendre à l’évidence qu’en ces temps de confinement et seule depuis plusieurs semaines, nos rapports ont changé. Je prends conscience de l’ironie de la situation : tel Robinson sur son île déserte qui tente de parfaire Vendredi à l’image de ses valeurs propres, je m’octroie un peu d’humanité dans ma cuisine en attribuant à mon Vitaliseur Marion® et mon micro-onde Severin® personnalité et sentiments. Et c’est comme si d’un coup, je mesurais à l’once prés, l’importance, même minimes, des relations sociales dans la vie de chacun et que je comprenais aisément que l’homme peut difficilement se sentir Etre lorsqu’il est seul.

Géraldine C.

Bientôt publié

26 Mai, 16:47 RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (12)
27 Mai, 07:47 TABLEAU 301
27 Mai, 16:47 RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (13)
28 Mai, 07:47 Un petit coin au Mexique

Les petits Versailles

Et voici le deuxième texte de Géraldine C.

Les jardins n’en reviennent pas ! Ils sont briqués, lustrés, travaillés, retournés, aménagés, entretenus, déblayés, plantés, tondus au plus près. Ils sont mis au carré ! Ils n’ont jamais autant vu leur propriétaire que ces dernières semaines. Ils sont eux-mêmes subjugués de tant d’attentions et de tant d’intérêts. Ils sont rutilants et fiers. Même les jardins de Versailles, d’ordinaire si choyés, pourraient en pâlir de jalousie.

Pas un jour sans entendre le ronron d’une tondeuse ou d’un coupe haie. Pas un jour sans entendre le coincement d’un sécateur oublié voilà des années dans un coin de garage. Pas un jour sans entendre les coups saccadés du rythme d’une pioche qui s’en donne à cœur joie.

Les potagers sont prêts, alignés, bêchés de toute part, les rangs sont Continuer la lecture de Les petits Versailles

À Moissac

Géraldine C. nous écrit de Moissac en Occitanie

Moissac – 27 mars 2020

Ce matin l’air pique aux narines. Sitôt tourné le coin de la rue, j’aperçois le canal qui exhale un voluptueux panache blanc de vapeur d’eau. L’éveil des jardins se fait aujourd’hui sous une fine pellicule de gelée. Les premières fleurs de pivoine semblent se serrer les unes aux autres pour se tenir chaud. Çà et là dans les jardins, les premiers prunus arborent de frileuses petites fleurs fuchsias. Tout est calme. J’entends une mésange qui répète son couplet du matin. Tous les volets des maisons sont fermés. Le soleil qui pointe son nez réchauffe mon visage et j’accueille avec délectation ce frôlement si réconfortant. Je prends la rue à gauche, puis la rue à droite puis encore la rue à gauche. Je laisse mes pas me guider au rythme de Continuer la lecture de À Moissac