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J’ai dix ans (Chap.3)

3-Un petit livre vert

Devant ce premier contact raté, Madeleine ne sait plus trop quoi faire de moi. Elle me raccompagne à ma chambre et me demande de trouver pour m’occuper, car elle doit faire ceci ou cela, un livre dans la petite bibliothèque  en faux acajou qui est fixée au-dessus du lit. Je ne suis pas un grand lecteur, je préfère les Dinky Toys, mais je fais semblant de m’intéresser aux livres pour pouvoir rester un peu tranquille.
Une fois seul, je tourne dans la chambre à la recherche de quelque chose à faire. Une chaise basse, une petite table sur trépied avec un crapaud en fonte la gueule ouverte posé sur un napperon en dentelle, ma valise pas encore défaite. La fenêtre a été ménagée dans la pente du toit qui forme le plafond de la chambre. Même en montant sur le lit, on ne voit rien d’autre que le ciel. Puisque je suis debout sur le lit, je reviens à la bibliothèque et j’examine le dos des livres bien rangés. Quelques centimètres de dos verts, quelques centimètres de dos roses, quelques centimètres de dos multicolores. Je découvre d’un coup la Bibliothèque Verte, la Bibliothèque Rose et le reste de l’édition française. Je prends quelques livres au hasard, les feuillette, cherche des images, lis parfois quelques lignes. Je finis par en prendre un,  un vert car j’ai compris que les roses, c’est plutôt pour les filles, et je l’ouvre à la première page:

« Chapitre 1. La piste de la viande.

De chaque côté du fleuve glacé, l’immense forêt de sapins s’allongeait, sombre et comme menaçante. »

Je me laisse tomber assis sur le lit.

« Les arbres, débarrassés par un vent récent de leur blanc manteau de givre, semblaient s’accouder les uns sur les autres, noirs et fatidiques dans le jour qui pâlissait. « 

Fatidiques ?

« La terre n’était qu’une désolation infinie et sans vie, où rien ne bougeait, et elle était si froide, si abandonnée… »

Dehors, un éclair. Je regarde la fenêtre. Un long roulement de tonnerre. Je lance le livre à l’autre bout de la chambre, je saute du lit, descend l’escalier à toute vitesse, traverse le couloir, ouvre la porte et me retrouve sur la terrasse. C’est un orage. J’ai toujours aimé les orages. C’est un spectacle grandiose que, dans nos régions, la nature ne nous offre pas assez souvent et dont il faut profiter. Debout sur la terrasse, les jambes un peu écartées, les deux mains accrochées à la balustrade, je fais face à la tempête qui approche. J’aime les orages, je vais être servi.
(à suivre)

Publication du Chapitre 4: le 26 mai

Voir aussi « J’ai dix ans » texte intégral