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Une amitié furieuse

Une lettre de Gustave Flaubert à Ernest Chevalier

Rouen, 23 ocotbre 1841

Qu’as-tu donc mon vieil Ernest ? Es-tu malade, mort, enterré, pourri ? Attends-tu pour venir que ton brûle-gueule soit fini, que ton petit verre soit pris ? finis-les et arrive nom de Dieu ou je te !…

sed placuit…*

Quel sacré nom de Dieu de bougre de mâtin de mille foutre couillon de nom d’un pet tu fais ! Comment, sacré mâtin, je t’attends depuis une semaine et tu n’arrives pas, tu ne réponds même pas. Ah ah ah c’est plus fort que moi, je ne me tiens pas, qu’on m’attache, qu’on m’enchaîne, qu’on me passe le caleçon de force, le gilet de force, la culotte de force, les bottes de force, le collier de force. Oh je m’attendais à te voir arriver, je te voyais déjà à côté de Jean vous langottant tous deux. J’apercevais ta balle, nous prenions de l’absinthe au café Rouennais et personne, personne. Je suis un lion, un tigre — tigre d’Inde, boa constrictor !

Il faut que tu sois ici lundi et bien vite, à la place où j’écris maintenant, à fumer, à te rôtir les jambes, et à causer avec ton serviteur et ami.

Mme Mignit revenue de Forges est tout étonnée que tu n’arrives pas.

Néo s’en mord la queue d’impatience. Mes pipes se dessèchent d’ennui.

Les latrines elles-mêmes trouvent qu’il y a longtemps que tu ne leur as pas donné de ta merde.

Ton feu se tord de ne plus être ensalivé par toi.

Et mes pincettes sentent le besoin d’être maniée par tes mains pour que tu m’ennuies avec à tripoter mes tisons.

Et l’auteur grille d’envie de te donner une poignée de main.

 

Note *
Flaubert fait référence à un vers de l’Enéïde  :
Quos ego — sed motos praestat componere fluctus.
imité par Racine dans Athalie :
Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
Te…mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter

Que voulez-vous, on est entre lettrés.

ET DEMAIN, ON DÉJEUNE À LA BRASSERIE SAINT LOUIS