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Suite africaine n°8 – Sylvie

Jean est à la réception des Cocotiers vers cinq heures et demie, mais il prend le temps de nous offrir un superbe petit déjeuner. Quand nous montons dans sa voiture, il fait grand jour. C’est une DS19, à cette époque probablement la meilleure voiture pour l’Afrique, mais encore peu répandue dans cette chasse gardée de Peugeot.

Le ciel est bas et gris. Il a dû pleuvoir fort ce matin car la piste est détrempée. A travers les faubourgs de Douala, nous dépassons les pick-up, les mobylettes et les vélos à coups de Klaxon en projetant autour de nous des gerbes de boue rouge. Personne ne semble protester. Les derniers commerces, les derniers hangars et les dernières cases disparaissent et Jean accélère. Il y a peu de circulation. Nous croisons Continuer la lecture de Suite africaine n°8 – Sylvie

Suite africaine n°7 -L’amour qui passe

1969
Ma mission au Tchad se termine. Un peu plus d’un mois à naviguer entre Fort-Lamy, Moundou et Fort-Archambault, je trouve que c’est largement suffisant. J’y ai pourtant vécu quelques moments intéressants : la chasse au phacochère au milieu des enfants cachés par les broussailles, la prison sur la place principale de Moundou avec ses femmes et les bicyclettes enfermées en plein air derrière un triple rang de barbelés, l’hôtel de Fort-Archambault avec son ménate siffleur de Marseillaises et ses hippopotames baillant devant la terrasse au milieu des pirogues sur le Chari, les crises vespérales de paludisme de mon chef de mission, debout dans sa toute petite piscine, un verre de whisky à la main agité de tremblements continus pendant près d’une heure, l’expédition au lac Tchad en Jeep Willys avec lui et la jeune ethnologue Françoise Claustre, un an ou deux avant son enlèvement par Hissène Habré, les deux petits lionceaux qu’elle voulait passer en fraude à son retour en France, le recrutement et la formation d’une vingtaine de tchadiens pour une enquête de transport pendant un an sur l’ensemble du territoire….Pour un premier séjour en Afrique noire, tout ça a été plutôt intéressant.
Mais j’ai hâte de retrouver Paris. Pourtant, je ne vais pas rentrer directement; car j’ai téléphoné à Jean, mon oncle de Douala.

Très tôt, Jean a été pour moi une sorte de héros. Dans la famille, il bénéficiait d’une réputation mélangée et assez floue. Héros de guerre, séducteur, gestionnaire peu délicat, aventurier, généreux, colonialiste, charmeur, mystérieux, businessman, prodigue…tout pour plaire à l’enfant sage puis au raisonnable adolescent que j’étais. Je me souviens de ses retours d’Afrique avec ses arrivées tonitruantes en Facel Véga, ses cadeaux démesurés, sa bonne humeur perpétuelle et ses blagues africaines. Arrivé à Douala après quelques aventures plus ou moins mystérieuses, il avait créé une exploitation forestière du coté de Kribi, la Société Camerounaise de l’Azobé.
J’ai téléphoné à Jean et, bien sûr, il m’a invité à passer quelques jours chez lui et, naturellement, je n’ai pas résisté longtemps à son invitation.

L’avion qui effectue deux fois par semaine la liaison Fort-Lamy – Douala est un vieux bi-moteur DC3 construit pendant la seconde guerre mondiale. On l’appelle l’avion laitier, sans doute parce qu’il s’arrête partout. Le parcours d’un peu plus de 1600 km, Fort-Lamy – Maroua – Garoua – Ngaoundere – Yaoundé – Douala, lui prend toute la journée.
La première chose qui surprend quand on monte dans l’avion laitier, c’est la présence des gros quartiers de viande qui pendent du plafond de la carlingue. Il faut les écarter pour avancer vers le fond de l’appareil où se trouvent les places réservées aux passagers. La deuxième chose surprenante, c’est la forte pente de l’allée centrale qui vous fait dévaler vers votre siège. Enfin, votre siège lui-même vous surprend à son tour : il a l’air d’avoir été récupéré sur une 2cv des années cinquante.
Le moteur droit cafouille un temps, lâche un petit nuage noir, puis s’emballe en chassant vers l’arrière des panaches de fumées bleues. Le moteur gauche démarre plus facilement. Le bruit est infernal. La carlingue tremble. L’avion pivote sur place et roule vers la piste derrière un Boeing 707 d’UTA qui rentre sur Paris. Le DC3 attend son tour en vibrant. Sur un signe invisible, il reprend sa course vers le bout de la piste d’envol, accélère dans le virage et décolle lentement. Je regarde vers le bas et je reconnais la case du chef de mission avec sa Jeep et sa petite piscine carrée. La ville disparaît rapidement sous l’aile droite. Elle laisse la place à la terre ocre, parsemée d’arbustes et de petites cases, striée de sentiers en tous sens. L’ombre de l’avion traverse le fleuve : nous sommes au Cameroun. Terre ocre, arbustes, cases, sentiers…
Le vol se passe sans encombre, dans les odeurs mélangées de viande, d’essence et de gaz d’échappement. Pas de service à bord, bien sur, mais j’arrive à manger quelque chose dans l’aérogare de la capitale, Yaoundé.
À Douala, pour parvenir jusqu’à l’aérogare, le petit avion zig-zague entre les Caravelles, les DC6 et les Boeing 707 d’UTA, Air Afrique, Lufthansa…

Jean est là, à la descente de l’avion, souriant, joyeux, volubile, superbe, Jean. Il est accompagné du chef d’escale. Nous traversons les contrôles de police et de douane avec un simple petit signe de tête aux fonctionnaires. Quand nous arrivons à sa voiture, il a déjà rencontré une dizaine de connaissances, noirs ou blancs, avec lesquels il a plaisanté ou échangé quelques mots.
Il m’emmène directement aux Cocotiers, le seul hôtel de luxe de la ville. Je prendrai une douche et il viendra me rechercher pour diner « à la case » avec sa deuxième épouse, Michèle, que je connais à peine.

Michèle me vouvoie. C’est une belle femme, sophistiquée et froide. Elle s’efforce d’être aimable avec moi, de me faire parler et de me mettre en valeur, mais elle paraît mal à l’aise. Visiblement, elle n’aime pas l’Afrique et se plaint beaucoup des conditions de vie à Douala. Elle parle souvent de la belle époque, de sa belle époque, à Saint-Germain des Prés. Jean plaisante continuellement, peut être pour dissiper une certaine tension et la gêne qui s’ensuit.
Le repas terminé, Jean décide d’aller prendre un verre dans une boîte de nuit. Michèle renâcle un peu, mais finit par céder pour ne pas paraître gâcher la soirée.
Jean semble aussi connu dans la boîte que dans l’aéroport. La clientèle est mélangée, noirs et blancs, et beaucoup viennent lui dire bonjour. Michèle a les lèvres serrées.

Jean décide de rentrer de bonne heure car, dit-il, nous partirons pour Kribi aux aurores demain matin. Il n’est pas encore minuit, mais ma journée a été longue depuis Fort-Lamy, et je suis content de rentrer à l’hôtel. Au moment où je vais me coucher, on frappe à la porte.
– Qu’est-ce que c’est?
– C’est l’amour qui passe, patron!
C’est une des filles qui font les cents pas – si j’ose dire – en mobylette devant l’hôtel, qui a vu la lumière de ma chambre s’allumer et qui tente sa chance…

                                                                                (à suivre)