Morceau choisi
« Tiens ! Ah ! Vous voilà vous autres ! s’étonna un peu de nous voir M.Puta. Je suis bien content quand même ! Entrez ! Vous, Voireuse, vous avez bonne mine ! Ça va bien ! Mais vous, Bardamu, vous avez l’air malade, mon garçon ! Enfin ! vous êtes jeune ! Ça reviendra ! Vous en avez de la veine, malgré tout, vous autres ! on peut dire ce que l’on voudra, vous vivez des heures magnifiques, hein ? là-haut ? Et à l’air ! C’est de l’Histoire ça mes amis, ou je m’y connais pas ! Et quelle Histoire ! «
On ne répondait rien à M.Puta, on le laissait dire tout ce qu’il voulait avant de le taper…Alors, il continuait :
« Ah ! c’est dur, j’en conviens, les tranchées !…C’est vrai ! Mais c’est joliment dur ici aussi, vous savez !…Vous avez été blessés, hein vous autres ? Moi, je suis éreinté ! J’en ai fait du service de nuit en ville depuis deux ans ! Vous vous rendez compte ? Pensez donc ! Absolument éreinté ! Crevé ! Ah ! les rues de Paris pendant la nuit ! Sans lumière mes petits amis…Y conduire une auto et souvent avec le Ministre dedans ! Et en vitesse encore ! Vous pouvez pas vous imaginer !…C’est à se tuer dix fois par nuit !…
-Oui, ponctua Mme Puta, et quelquefois il conduit la femme du Ministre aussi…
-Ah oui ! Et c’est pas fini…
-C’est terrible ! reprîmes-nous ensemble.
L-F.Céline Voyage au bout de la nuit.