Archives par mot-clé : Céline

À l’arrière

morceau choisi

Il est rare, c’est même peut-être la première fois, que je publie un morceau choisi une deuxième fois. Mais celui-ci est tellement proche de notre actualité 

(…)

        « Tiens ! Ah ! Vous voilà vous autres ! s’étonna un peu de nous voir M.Puta. Je suis bien content quand même ! Entrez ! Vous, Voireuse, vous avez bonne mine ! Ça va bien ! Mais vous, Bardamu, vous avez l’air malade, mon garçon ! Enfin ! vous êtes jeune ! Ça reviendra ! Vous en avez de la veine, malgré tout, vous autres ! on peut dire ce que l’on voudra, vous vivez des heures magnifiques, hein ? Continuer la lecture de À l’arrière

C’est rare un style, monsieur !

temps de lecture : 1 minute

Morceau choisi

Les écrivains ? Ne m’intéressent que les gens qui ont un style. S’ils n’ont pas de style, ils ne m’intéressent pas. Des histoires, il y en a plein la rue, n’est-ce pas. J’en vois partout des histoires, plein la rue, plein les commissariats, plein les correctionnelles, plein votre vie… tout le monde a une histoire, mille histoires.
C’est rare un style, monsieur ! Un style, il y en a un, deux, trois par génération.
Il y a des milliers d’écrivains, ce sont des pauvres cafouilleux, ils rampent dans les phrases, ils répètent ce que l’autre a dit, ils choisissent une histoire, prennent une bonne histoire et ils écrivent : « Je vois ça…etc. » Ce n’est pas intéressant.
Il m’est arrivé quelque chose de bien particulier. J’ai cessé Continuer la lecture de C’est rare un style, monsieur !

Un accent avec un petit fouet dedans

Morceau choisi

(…) Depuis longtemps, je n’avais pas entendu des voix aussi distinguées moi. Ils ont une certaine manière de parler les gens distingués qui vous intimide et moi qui m’effraye, tout simplement, surtout leurs femmes, c’est cependant rien que des phrases mal foutues et prétentieuses, mais astiquées alors comme des vieux meubles. Elles font peur leurs phrases bien qu’anodines. On a peur de glisser dessus, rien qu’en leur répondant. Et même quand ils prennent des tons canailles pour chanter des chansons de pauvres en manière de distraction, ils le gardent cet accent distingué qui vous met en méfiance et en dégoût, un accent qui a comme un petit fouet dedans, toujours, comme il en faut un, toujours, pour parler aux domestiques. C’est excitant, Mais ça vous incite en même temps à trousser leurs femmes rien que pour la voir fondre, leur dignité, comme ils disent…

L-F. Céline – Voyage au bout de la nuit

Bardamu et les New-Yorkaises

temps de lecture : 2 minutes 
morceau choisi

On se souvient de la description de l’arrivée de Bardamu à New York : « Figurez- vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. »
Mais on se souvient certainement moins bien de ce qui se passe quelques heures plus tard. Bardamu, clandestin décharné et fiévreux, erre dans Manhattan. Il remonte Broadway jusqu’à l’Hôtel de Ville et s’assied sur un banc d’où il contemple le spectacle de la ville :

J’attendis une bonne heure à la même place et puis de cette pénombre, de cette foule en route, discontinue, morne, surgit sur les midi, indéniable, une brusque avalanche de femmes absolument belles.
Quelle découverte ! Quelle Amérique ! Quel ravissement ! Souvenir de Lola ! Son exemple ne m’avait pas trompé ! C’était vrai !
Je touchais au vif de mon pèlerinage. Et si je n’avais point souffert en même temps de continuels rappels de mon appétit je me serais cru parvenu à l’un de ces moments de surnaturelle révélation esthétique. Les beautés que je découvrais, incessantes, Continuer la lecture de Bardamu et les New-Yorkaises

La ville debout

Vous l’avez peut-être remarqué : ce n’est pas la première fois que j’utilise cette photo. Prise  il y a six ou sept ans du ferry-boat qui relie Staten Island à Manhattan, on y voit par dessus quelques têtes anonymes se profiler le skyline du quartier des affaires de New York par un matin gris. La sourde angoisse mêlée de promesse qui selon moi diffuse de cette photo me l’avait fait choisir pour illustrer un texte que j’ai publié ici récemment : Les Immigrants.

J’ai fait la connaissance de ce ferry lors mon premier voyage en Amérique. C’était en 1962, en juillet. À l’arrivée, je n’avais rien vu de Manhattan, ni même de New York. Trop pressé sans doute de commencer mon aventure, au sortir de l’aéroport d’Idlewild avec quelques coéquipiers éphémères, j’avais pris immédiatement un bus qui m’avait amené directement dans le New Jersey, là où commençait l’autoroute qui menait vers Continuer la lecture de La ville debout

A l’arrière

Morceau choisi

        « Tiens ! Ah ! Vous voilà vous autres ! s’étonna un peu de nous voir M.Puta. Je suis bien content quand même ! Entrez ! Vous, Voireuse, vous avez bonne mine ! Ça va bien ! Mais vous, Bardamu, vous avez l’air malade, mon garçon ! Enfin ! vous êtes jeune ! Ça reviendra ! Vous en avez de la veine, malgré tout, vous autres ! on peut dire ce que l’on voudra, vous vivez des heures magnifiques, hein ? là-haut ? Et à l’air ! C’est de l’Histoire ça mes amis, ou je m’y connais pas ! Et quelle Histoire ! « 

On ne répondait rien à M.Puta, on le laissait dire tout ce qu’il voulait avant de le taper…Alors, il continuait :

       « Ah ! c’est dur, j’en conviens, les tranchées !…C’est vrai ! Mais c’est joliment dur ici aussi, vous savez !…Vous avez été blessés, hein vous autres ? Moi, je suis éreinté ! J’en ai fait du service de nuit en ville depuis deux ans ! Vous vous rendez compte ? Pensez donc ! Absolument éreinté ! Crevé ! Ah ! les rues de Paris pendant la nuit ! Sans lumière mes petits amis…Y conduire une auto et souvent avec le Ministre dedans ! Et en vitesse encore ! Vous pouvez pas vous imaginer !…C’est à se tuer dix fois par nuit !…

       -Oui, ponctua Mme Puta, et quelquefois il conduit la femme du Ministre aussi…

       -Ah oui ! Et c’est pas fini…

       -C’est terrible ! reprîmes-nous ensemble.

 L-F.Céline     Voyage au bout de la nuit.