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Bloody Miami (Critique aisée 45)

Tom Wolfe aura bientôt 84 ans. A l’origine, plutôt journaliste-écrivain (L’étoffe des héros), il avait débarqué dans le roman avec fracas en publiant à 56 ans Le Bûcher des Vanités. Vendu à plus de 2.000.000 d’exemplaires, adapté très moyennement au cinéma par Brian de Palma, cet extraordinaire roman réaliste et débridé décrivait de façon violente, acide et drôle le monde de la finance new-yorkaise et le fonctionnement de la justice sous l’influence de la politique et de la presse.
Tom Wolfe vient de publier « Bloody Miami » ( en anglais « Back to Blood »).
Un peu moins noir que le « Bûcher », « Bloody Miami » est tout aussi acide, méchant et drôle. Très inventif dans le domaine des onomatopées et de la typographie, ce roman raconte une histoire où se mêlent et se démènent de façon désordonnée et souvent violente la police, la presse, la mairie, les communautés raciales de cubanos, noirs, WASP et haïtiens, sans oublier la mafia russe.
Pris dans l’essoreuse de faits divers à caractères racistes, d’une régate orgiaque, et d’une escroquerie aux faux tableaux, on suit, parfois essoufflé, les mésaventures de quelques personnages, dont le point commun est qu’ils sont (presque) tous animés par une forte volonté.
Nestor Camacho: flic Cubano, habitant de Hialeah, hyper musclé, naïf, gaffeur et fou amoureux de Magdalena.
Magdalena Otero, superbe Cubana, infirmière psychiatrique, maitresse de Nestor et de son patron psychiatre.
Norman Lewis, médecin psychiatre spécialiste de l’addiction à la pornographie, totalement tordu et addict lui-même.
Maurice Fleischmann, milliardaire et onaniste furieux, patient captif du Dr Lewis.
John Smith, jeune WASP journaliste frais émoulu de Yale, Tintin décalé dans l’univers tropical de la Floride et marécageux de la presse.
Dionisio Cruz, maire Cubano de Miami, fin politicien sans âme, soucieux seulement de maintenir le calme médiatique entre les communautés.
Cyrus Booker, géant noir et chef de la police, à qui Nestor et Dionisio causeront bien des soucis.
Sergei Koroliov, grand voyou princier, oligarque escroc et maffieux russe.
Et puis, il y a la ville, immense et surchauffée, dont cinquante pour cent des habitants sont d’immigration récente, avec ses quartiers comme Hialeah, où les femmes arrosent le petit carré de béton qui leur tient lieu de jardin, comme Star Island et Fisher Island avec accès limités aux milliardaires et ferry séparé pour le personnel, comme South Beach avec ses bâtiments Art Deco et son festival Art Basel Miami Beach, où l’on se bouscule à l’entrée pour pouvoir acheter dans les premières minutes une demi-douzaine de morceaux d’art contemporain pour une quinzaine de millions de dollars, comme Hallandale avec ses résidences pour déambulateurs d’aluminium et palmiers rachitiques.
Un peu moins réussi, selon moi, que le Bûcher des Vanités, ce livre se lit pourtant passionnément, en quelques heures. Bien qu’on ait parfois l’impression que l’auteur tire un peu à la ligne, on reste ébahi par la technique de Wolfe pour décrire les scènes d’action ( dans le Bûcher, l’arrivée du Golden boy au tribunal du Bronx; dans Bloody Miami, la scène de la traversée de Biscayne Bay dans le bateau de la police du port) dont on sort épuisé.
Cet auteur est si original et si maître de lui que, de cette histoire de sexe, de sang, d’argent, de faux art et de vraie drogue, de trafic d’influences et de manipulations médiatiques, il se sort avec une happy end presque morale.

BLOODY MIAMI
Tom Wolfe (2013)
820 pages
Pocket-Robert Laffont