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Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture – Critique aisée n°140

Critique aisée 140

Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture
Fondation Cartier

Pour l’exposition « Junya Ishigami – Freeing Architecture« , c’est trop tard. La Fondation Cartier en a fermé les portes il y a deux mois déjà,  le 9 septembre dernier. Vous ne pourrez pas la voir. Dommage, vous auriez pu vous faire une opinion et me dire que je n’y avais rien compris. Mais maintenant vous allez être obligé de me croire sur écrits et sur photos.

Averti de la date de fermeture du 9, j’y suis allé d’urgence le 8 mais, malgré la proximité de la fermeture, il n’y avait encore rien de soldé, pas le moindre joli dessin, la moindre petite figurine en plastique poli, le moindre petit arbre en papier recyclé découpé. Je suis reparti bredouille. Mais avant, j’avais pu voir comment Junya Ishigami libère l’architecture.

Junya Ishigami est japonais et il a quarante-quatre ans. Il est diplômé de l’Université des Arts de Tokyo en 2000. D’après sa brève page Wikipédia,  « il travaille  aussi bien dans le design que dans l’architecture ».

À ce jour, ses réalisations architecturales Continuer la lecture de Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture – Critique aisée n°140

Construire des rayonnages

Morceau choisi

L’architecture contemporaine se dote donc implicitement d’un programme simple, qu’on peut résumer ainsi : construire les rayonnages de l’hypermarché social. Elle y parvient d’une part en manifestant une totale fidélité à l’esthétique du casier, d’autre part en employant des matériaux à granulométrie faible ou nulle (métal, verre, matières plastiques). L’emploi de surfaces réfléchissantes ou transparentes permettra en outre Continuer la lecture de Construire des rayonnages

A la Bastille… ( Critique aisée 31)

A la Bastille, on ne l’aime pas l’grand Opéra

De la terrasse du café Le Bastille où je viens de m’installer, on peut voir les premiers numéros de la rue de la Roquette, l’entrée de la rue du Faubourg Saint Antoine, le socle de la colonne de Juillet, la bouche du métro et le kiosque à journaux. Si on enlevait la couleur et les deux ou trois filles qui passent en minijupe, ça pourrait être le décor d’un film de Marcel Carné. On y verrait Jules Berry en chapeau mou discuter avec Bernard Blier en casquette devant la bouche de métro en fumant une Gauloise.
Mais, aujourd’hui, de la terrasse du café Bastille, on voit aussi l’escalier monumental de l’Opéra.
Construit à la demande de François Mitterrand, inauguré en 1989, cet énorme machin gris m’a toujours fait penser à un gigantesque Monoprix ou, mieux, à une énorme Beryezka qui aurait été dessinée en 1957 par un architecte soviétique.
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L’escalier monumental que, de ma table, je ne vois que de profil, n’est certainement pas le pire de ce monument de pesanteur. Le pire, on pourrait le chercher dans ce triste arrondi qui fait face à la place, ignoble cylindre grisâtre aux molles proportions, ou peut-être dans Continuer la lecture de A la Bastille… ( Critique aisée 31)

Imagine un peu ! Critique aisée 21

Institut Imagine, 24 boulevard du Montparnasse, site de l’hôpital Necker-Enfants malades.

Ca fait maintenant une vingtaine de minutes que je rode auprès du bâtiment en cherchant à  m’approcher de l’une de ses façades. La construction qui m’intrigue occupe une bonne longueur du côté pair du Boulevard du Montparnasse mais ne présente aucune entrée ni ouverture de ce côté. De plus, une grille empêche d’approcher la façade. Ça m’ennuie parce que j’ai repéré sur cet immeuble une chose étrange que je voudrais bien vérifier.

Cet immeuble imposant a été achevé il y a quelques mois. La longue et haute façade –peut-être  huit étages- est entièrement constituée de panneaux de verre. Certains sont gris et opaques et d’autres transparents. Sans doute pour égayer ce lugubre damier, la façade ne s’inscrit pas dans un seul plan, mais dans quatre plans d’inclinaisons différentes. Au milieu de ce quartier d’immeubles haussmannien et de constructions parisiennes plus anciennes, c’est du plus bel effet. Bon, mais des immeubles officiels lourdingues avec du verre en façade pour seule originalité, on commence à en avoir l’habitude.
Imagine 1
Je n’ai donc fait que bougonner un petit peu quand j’ai vu cet immeuble hors d’eau, et j’ai attribué aux aléas du chantier les traces blanchâtres qui affectaient une bonne partie des panneaux de façade.
Le temps passant sans que le nettoyage ne se fasse, j’ai dû changer d’hypothèse : ce qui paraissait des salissures devait en fait provenir de malfaçons, du genre condensation dans les doubles vitrages ou bullage du film anti-UV. On en aurait pour des années avant que le litige ne soit réglé.

Et puis, la semaine dernière, alors que je remontais à pied le boulevard, que je disposais de temps et d’un appareil photo, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. La façade sur boulevard s’avérant impénétrable, j’ai longé celle de  la rue du Cherche-Midi, plus sagement verticale mais tout aussi grande et affectée des mêmes désordres.
Imagine 2
La vue d’une nacelle m’a confirmé dans ma dernière hypothèse : on était en train de procéder à des examens ou même des essais de remplacement.
Je finis par trouver une entrée qui semble de service et je pénètre en hésitant dans l’enceinte. Elégant manteau noir flottant au vent, attaché case ultra plat, téléphone collé à l’oreille, un homme jeune et pressé me dépasse :

Tu te rends compte, ce truc a couté des millions d’euros et on est déjà en train de changer les vitres. C’est vraiment un scandale ! Y a des espèces de trainées blanches, un défaut dans le verre ou quoi, je ne sais pas…

Je me dis que ce jeune homme affairé ne connaît pas la vie, que les malfaçons dans les façades modernes, c’est regrettable, mais que c’est courant et qu’on finira bien par régler ce problème…
Pendant que j’agitais ces pensées pleines de l’indulgence qui découle tout naturellement de l’expérience, je me suis approché de la façade jusqu’à la toucher et j’ai vu ce qui pour les non-initiés, c’est-à-dire vraisemblablement pour 97,5% des passants du boulevard, restera des salissures jusqu’à ce que quelqu’un les détrompe, comme je vais le faire maintenant : ces salissures ineffaçables, ces bullages malvenus, ces malfaçons regrettables sont en fait des pixels sérigraphiés, c’est-à-dire, en clair et en l’occurrence, des petits carrés blancs, d’environ un millimètre de côté, imprimés sur la surface du verre dans un désordre apparent qui ne doit certainement rien au hasard.
Imagine 3
Tout cela a donc été voulu, conçu, défini, calculé, réalisé, installé, réceptionné, payé et admiré par ceux-là même qui l’avaient voulu, conçu, défini, calculé, réalisé, installé, réceptionné, et payé. Et, à moins d’une malfaçon sur laquelle on ne peut tout de même pas compter, tout cela va durer et cet énorme  bâtiment disgracieux sera pour l’éternité mal lavé.

De retour chez moi, c’est à dire de retour devant Google, je me suis renseigné. Et voici le résultat de mes recherches.
Ce bâtiment tout neuf est inclus dans l’enceinte de l’Hôpital des Enfants Malades. Il abrite un centre de recherche et de traitement des maladies génétiques. Sur le plan architectural, nous le devons à deux cabinets différents: Valero-Gadan et Ateliers Jean Nouvel.

Il n’est pas question ici de critiquer ou même d’émettre un avis sur l’organisation architecturale interne de cet Institut. Mais je voudrais bien savoir quel est, entre ces deux architectes, le concepteur de ce parti de façades délavées. Mes recherches, peu approfondies je l’avoue, ne m’ont pas permis de le déterminer, ce qui ne m’empêche pas de soupçonner fortement Monsieur Nouvel. Nous devons à cet architecte quelques belles réalisations, la Fondation Cartier à Paris, le Musée du Quai Branly, et pour la plupart des gens, l’Institut du Monde Arabe. Malheureusement, nous lui devons aussi le centre commercial Euralille (la première fois que je l’ai vu, j’ai éclaté de rire tellement l’une de ses tours ressemble à un énorme flipper-billard-électrique), la tour Agbar à Barcelone, l’immeuble Burj à Doha…Quant à la Philharmonie de Paris, pour juger de ce projet, on devra attendre encore quelques temps qu’il ait fini de ruiner Paris, tant le chantier a pris de retard et supporté d’augmentations de coût.

Depuis quelques années, la marque de Jean Nouvel, c’est le verre. Il faut reconnaître qu’il n’est pas le seul à être tombé dans cette facilité. Du verre, encore du verre, toujours du verre, du verre coloré, du verre sérigraphié, du verre incrusté de mécanismes, du verre pour faire joli, du verre pour impressionner, du verre pour cacher les formes, parfois pour pallier le manque d’imagination.

Revenons à Imagine. Voici ce qu’on pouvait lire dans la description du projet :

« L’angle du boulevard du Montparnasse et de la rue du Cherche Midi est on ne peut plus parisien. Nous l’aimerions hospitalier dans le double sens du mot.

Et on ajoute :

:«….Privilégiant le verre et les matériaux naturels, s’intégrant parfaitement dans le paysage urbain, le futur Institut Imagine sera également doté de plusieurs jardins, dont un extérieur ouvert au public. Les façades seront agrémentées de verre sérigraphié rappelant une séquence ADN, illustrant ainsi de manière symbolique la raison d’être de cet Institut des Maladies Génétiques… »

Pour ce qui est de s’intégrer dans le paysage urbain, par sa masse, son aspect et sa forme, ça, on peut dire qu’il s’intègre !

Pour ce qui est de la fine allusion à l’ADN, on peut penser qu’elle n’aura échappé à personne, sauf à la totalité des passants du boulevard.

 

 

L’Hôtel de Ville de Bagnolet. Critique aisée 12

Bagnolet n’est pas si difficile que ça à trouver. En fait, quand vous partez pour Dubaï, Los Angeles ou Singapour, quand le taxi qui vous emmène à Charles De Gaulle tourne à droite pour quitter le périphérique et prendre l’autoroute, quand vous voyez grandir puis disparaître deux tours jumelles noires surmontées de hautes antennes squelettiques, vous pouvez vous dire que vous venez de traverser Bagnolet.
Je ne suis pas un (Nouvel) observateur patenté de la banlieue proche, et je ne me lancerai pas, sous un titre pseudo-humoristique du genre « En bagnole à Bagnolet », dans une apologie bobo d’une cité de la première couronne, avec son vieux quartier, sa pittoresque place du marché, ses commerces bigarrés, ses tags célébrés et sa petite église du XVI ème siècle.
Mais j’ai vu là-bas quelque chose dont il faut que je parle.

À la fin de l’année dernière, au milieu des grues et des palissades, dans les odeurs traditionnelles de méchoui et de ciment frais, les Bagnoletais et les Bagnoletaises ont inauguré leur nouvel Hôtel de Ville. Aujourd’hui, 22 janvier 2014, les grues ont été repliées, les odeurs de gas-oil du proche périphérique ont pris le dessus et le nouveau bâtiment ses fonctions. Relié à lui par une passerelle vitrée, l’ancienne marie demeure, genre de gros pavillon de banlieue, toutes portes et volets clos au milieu d’un terrain vague. On dirait qu’on a oublié de démonter une des baraques du chantier.
Il serait pourtant souhaitable que les maitres d’ouvrage mégalomanes et conservateurs, les architectes répétitifs, les décideurs pusillanimes, les contrôleurs tatillons, enfin tous ces gens à qui nous devons, entre autres,  le Ministère des Phynances, la grande  Arche de la Défense ou la Villa Méditerranée, il serait souhaitable donc que tous ces gens aillent  voir ce modeste bâtiment tout neuf.
A l’extérieur, l’entrée principale est surmontée d’un empilement de cylindres à base elliptique, qui rappelle sans imiter le Guggenheim de la 5ème Avenue, couronné par un parallélépipède ouvert sur l’extérieur comme ceux qui constituent la structure du Musée Pompidou de Metz. L’ensemble est très réussi. Le sont moins les deux façades perpendiculaires qui se rejoignent sur les cylindres. Ces façades, d’un modernisme classique et sobre, sont malheureusement gâchées par l’adoption de cette mode des résilles, si réussie au MUCEM de Marseille et si malvenue ici, qui donne une très forte impression de clôture provisoire. Passons, avec un peu de chance, ça rouillera vite.

Pour moi, la véritable réussite de ce lieu, c’est son hall d’entrée, tout fait de volumes  courbes et blancs, d’une complexité audacieuse, magnifique et légère. Un Trissotin appointé de Télérama y a vu une « impeccable prétention de l’architecte ». Il a cru également y sentir souffler l’esprit de Tati. Lequel? Celui de Mon Oncle, avec son modernisme ridicule? Celui de Trafic, avec sa splendide froideur? Ou celui des vêtements bon marché? Je n’y ai vu ni impeccable prétention ni fantôme de Tati mais un jeu superbe de creux et de volumes, de gris et de blancs, d’ombres de lumières.
Je suppose, j’espère, mais je n’ai pas pu vérifier, que les parties non accessibles au contribuable sont tout aussi réussies.
Bravo, Jean-Pierre Lott, architecte!

P1240402BagnoletPour agrandir, cliquez sur les images

Vous pouvez voir davantage de photographies sur le site suivant:

http://www.office-et-culture.fr/architecture/concept/la-nouvelle-vie-de-la-mairie-de-bagnolet